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cirepal — les autres

Les autres

 

C’est au cours de sa tournée de retour d’Annapolis, entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite, que M. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a lancé une nouvelle bombe : les Palestiniens de 48, ceux qui sont restés dans leur pays après la Nakba, ceux qui résistent quotidiennement contre la judaïsation effrénée de leur pays, sont « les autres ». Dans une déclaration où M. Abbas fait montre d’une ignorance totale de l’histoire de la Palestine, il déclare : « Du point de vue historique, il y a deux Etats, Israël et la Palestine. En Israël, vivent les juifs et les autres. Nous pouvons reconnaître cela et pas autre chose », comme s’il y avait encore autre chose à reconnaître et à brader.

 

« Les autres », d’après M. Abbas, ce sont les Palestiniens de 48, ceux dont la présence dans leur pays a été déjà bradée par les accords d’Oslo, en 1993, ceux que l’Etat sioniste lui-même considère comme « une bombe démographique » et « une menace stratégique », ceux qui sont menacés d’une nouvelle Nakba, avec la bénédiction de son équipe, les éradicateurs.

 

Palestiniens de 48 : une résistance quotidienne

 

Les Palestiniens de 48, ceux qui sont restés dans l’Etat sioniste après sa fondation, ont vécu sur leurs terres dans leurs maisons ancestrales, dans leurs villages ou villes, ou bien sont des réfugiés (les réfugiés internes) qui ont été interdits de retourner à leurs villages, leurs terres et leurs maisons, après la Nakba, bien qu’ils soient demeurés dans les frontières de l’Etat sioniste.

Placés sous gouvernement militaire de 1948 à 1966, ils ont été empêchés de se déplacer, même d’un village à l’autre, sans autorisations spéciales accordées par le gouverneur militaire. Dans le Naqab, en Galilée ou dans les villes devenues mixtes, c’est au cours de cette période où ils ne pouvaient se déplacer ni agir que les autorités sionistes ont confisqué leurs terres et détruit les villages, les obligeant à se concentrer sur moins de 20% de leurs terres.

 

Aujourd’hui, en 2007, 31 ans après la Journée de la Terre (30 mars 1976) où ils se sont soulevés massivement contre les expropriations de leurs terres, ils poursuivent leurs luttes quotidiennes contre toutes formes d’israélisation de leur société palestinienne, contre les expropriations de ce qui leur reste de terres, contre la judaïsation de leurs lieux de vie et de culte, comme ils luttent contre les discriminations raciales pratiquées à leur encontre par l’institution ou par la société israéliennes dominantes. Près d’un million et demi de Palestiniens vivent dans leur pays et sont considérés comme une « minorité », dans un Etat colonial qui accorde la pleine citoyenneté à tout étranger de religion juive, au détriment du Palestinien qui, par ses luttes, a acquis une marge de liberté aujourd’hui menacée.

La société palestinienne de l’intérieur est menacée : la proposition israélienne de faire adopter par les Etats arabes et par l’Autorité palestinienne l’idée d’un Etat juif aux côtés d’un Etat palestinien n’est que la facette officielle d’une nouvelle nakba, catastrophe, visant à expulser la majeure partie des Palestiniens de 48 vers la Cisjordanie, la bande de Gaza ou la Jordanie. La demande réitérée de reconnaître l’Etat sioniste comme un Etat juif signifie, aux yeux du sionisme qui gouverne cet Etat, que les Palestiniens de 48 n’ont pas de place dans leur propre pays. Considérés par plusieurs dirigeants sionistes comme « une bombe démographique », car de 350.000 en 1948, ils sont passés au million et demi en 2007, ils sont, de plus, les témoins vivants de la Nakba de 1948, les indéracinables fermement accrochés à leur présence et à leurs droits.

 

Au cours des dix dernières années, après leur abandon par les signataires des accords d’Oslo, les Palestiniens de 48 (ou les Palestiniens de l’intérieur) ont su développer leurs propres stratégies de défense et de lutte. Refusant le terme que leur appliquent les sionistes et leurs amis : « Arabes israéliens ou d’Israël », ils revendiquent leur identité palestinienne, leur identité arabe palestinienne. Ils refusent également de considérer que la citoyenneté israélienne qui leur a été accordée par l’Etat sioniste soit une faveur, car comme ils le disent : « nous n’avons pas demandé la citoyenneté, nous sommes et vivons dans notre pays, avant la création de leur Etat ». Ils refusent aussi la dislocation de leur société par l’Etat sioniste qui les a catégorisés en plusieurs groupes : les « arabes » (les chrétiens et les musulmans), les « bédouins » (les habitants du Naqab et aux alentours d’al-Quds), les « druzes » et les « tcherkesses » (Palestiniens d’origine tcherkesse). Alors que l’idéologie et les dirigeants sionistes considèrent que les juifs du monde entier constituent « le peuple juif » et que l’Etat créé en Palestine est leur « foyer national », l’idéologie sioniste démantèle un peuple en plusieurs catégories, les distinguant soit par la religion, le mode de vie, l’origine ou la région qu’ils habitent.

 

Palestiniens druzes

 

Il en est ainsi pour les arabes Palestiniens druzes, qui vivent dans la région de Galilée. L’Etat sioniste a essayé de distinguer cette catégorie de Palestiniens en l’incluant dans le service militaire. Si, au cours des années précédentes, la population druze avait considéré que son israélisation par le biais du service militaire pouvait la protéger de la confiscation de ses terres ou lui permettre d’accéder à des faveurs interdites aux autres Palestiniens, elle a dû déchanter, notamment depuis les années 70, qui a assisté à un éveil de la population palestinienne druze sur le rôle que l’Etat sioniste lui réservait : être le gendarme de l’Etat spoliateur contre son propre peuple, qu’il vive sous occupation depuis 1948 ou dans les territoires occupés en 1967.

Le refus du service militaire par les Palestiniens druzes est une pratique ancienne. Nombreux sont ceux qui avaient refusé, depuis les années 70, de s’engager, préférant passer quelques années en prison plutôt que de lever les armes contre leurs frères, sans s’attendre d’ailleurs à une quelconque publicité ou rétribution pour leur acte, jugeant qu’ils ne font rien d’autre que leur devoir. Mais la vague s’est amplifiée depuis la première intifada pour devenir un réel problème pour les autorités sionistes, au cours de l’Intifada al-Aqsa. Généralement, les Palestiniens druzes ne sont pas inclus parmi les contestataires israéliens, car la signification de leur refus est différente : non seulement ils refusent de se rendre dans les territoires occupés en 67, mais ils refusent tout net de servir dans l’armée sioniste. Leur refus est d’ordre national, et à ce titre, ils sont emprisonnés ou en fuite, dans la clandestinité.

 

Bqay’a, un village en révolte

 

L’histoire de la révolte des jeunes palestiniens, à majorité druze, dans le village de Bqay’a est significative : elle montre le degré de colère et la mobilisation de cette population jeune aux côtés des revendications nationales, rompant avec les alliances familiales et claniques qui ont longtemps dominé les expressions de cette confession.

Au mois d’octobre dernier, des jeunes du village Bqay’a manifestent leur colère contre l’installation d’antennes satellitaires près des maisons de colons juifs, aux lisières du village et cassent les antennes. C’est alors que des centaines d’hommes des unités spéciales des forces de la répression interviennent massivement le 30 octobre 2007, comme s’ils attendaient un tel moment, et envahissent le village. Pour la première fois depuis l’invasion et l’occupation de la Palestine, une telle force n’était entrée dans un village arabe. C’est l’affrontement, ce à quoi ne s’attendaient pas les policiers, dont plusieurs sont blessés. Les forces sionistes arrêtent plusieurs jeunes mais les villageois ripostent et s’emparent de plusieurs policiers. Après avoir détruit des biens appartenant aux Palestiniens, les forces sionistes sont obligées de libérer les jeunes, en échange de leurs policiers. C’est ainsi que les jeunes d’al-Bqay’a ont montré leur rejet de l’institution israélienne. Jusqu’à présent, les autorités de l’occupation essaient de comprendre ce qui s’est passé, et comme pour la guerre contre le Liban en 2006, les responsables se jettent mutuellement la responsabilité : d’après la télévision israélienne, qui continue à commenter les événements, un mois après, les responsables israéliens admettent l’échec de leurs services de renseignements et l’échec de leur intervention armée dans le village.

 

Al-Bqay’a est un de ces villages palestiniens de Galilée où vivent plusieurs confessions, dont des juifs qui ont vécu dans une harmonie parfaite avec les autres confessions, depuis des centaines d’années. Ces juifs palestiniens sont totalement étrangers à une nouvelle vague de colonisation juive dans le village représentée par deux associations sionistes dont le mot d’ordre est la « libération d’al-Bqay’a des étrangers ». Ces associations sionistes hautement financées, ont acheté à bas pris plusieurs maisons, par des moyens directs ou détournés, et sont soutenues par des partis sionistes au pouvoir. Ce sont ces colons que la police a prétendu vouloir protéger dans le village, et non pas les juifs palestiniens, qui vivent dans d’autres quartiers. Mais au-delà des événements qui s’y sont déroulés, l’affaire d’al-Bqay’a a confirmé la progression de la judaïsation de la Galilée activement prônée par le président de l’Etat actuel, Shimon Pérès, qui avait considéré que le désengagement de la bande de Gaza devait être compensé par une colonisation active de la Galilée et du Naqab, deux des trois régions où sont rassemblés les Palestiniens. Et cette colonisation se déroule au cœur même des villages arabes.

 

M. Sa’ïd Naffa’, député du Rassemblement national démocratique et fondateur du mouvement d’al-Ma’roufyin al-Ahrâr (libres descendants des Banu Ma’rûf (arabes druzes)) a expliqué, au cours d’une journée d’études consacrée à l’émeute d’al-Bqay’a que la discrimination raciale et l’encerclement des Arabes, y compris les druzes, sont systématiques et découlent de l’idéologie d’un Etat juif. Il a appelé les Palestiniens de l’intérieur à une plus grande unité populaire pour la défense de leurs droits et à cesser de courir après les partis sionistes pour obtenir des miettes, considérant que seule la lutte et l’enracinement dans le pays peuvent arracher les droits palestiniens.

Ces attitudes nationales de la direction palestinienne de l’intérieur ne sont pas du goût des responsables sionistes, qui mènent actuellement une campagne contre le député Sa’ïd Naffa’, comme celle qui avait été menée contre Azmi Bishara, criminalisant ses paroles et ses actes. Il y a quelques jours, le professeur Nuhad Melhem a été arrêté et le député Sa’ïd Naffa’ convoqué par l’unité des renseignements spéciaux de la police israélienne, par mesure d’intimidation. Le comité de suivi a, dans un communiqué, dénoncé ces mesures d’intimidation, jugeant qu’elles s’inscrivent dans une campagne contre les druzes et les autres Palestiniens, comme le confirment les événements d’al-Bqay’a et les déclarations racistes du rabbin de Safad.

 

Le service civil : une escroquerie sioniste

 

Depuis la création de l’Etat sioniste en 1948, les palestiniens de l’intérieur n’ont jamais été concernés par le service militaire dû par les colons juifs, à l’exception des druzes qui y sont obligés et des bédouins pour lesquels il est facultatif. Mais plusieurs dirigeants sionistes, dont Sharon, avaient envisagé de faire remplacer le service militaire aux Palestiniens par le service civil, à partir de l’équation sournoise de l’égalité entre droits et devoirs des citoyens. Pour les Palestiniens, cette équation n’a aucun fondement, d’abord parce qu’ils jugent que leur présence dans le pays n’est pas une faveur mais un droit, qu’ils n’ont pas demandé à être citoyens de cet Etat et qu’ils vivent dans le pays avant même sa création. Ensuite, ils sont soumis à toutes sortes de discriminations, leurs terres sont confisquées, leurs maisons détruites, les régions dans lesquelles ils vivent sont les plus pauvres et les moins désservies en services, ce qui les place hors de l’équation avancée par les responsables de l’Etat. De plus, ils ont acquis la conviction intime que tout pas vers leur israélisation entraînera leur propre perte, perte de leur identité, de leur cause nationale d’autant plus qu’il consolidera l’Etat colonial et raciste qui les domine et que rien, sinon la poursuite de leurs luttes et leurs mobilisations, ne peut leur garantir qu’ils ne subiront pas une autre nakba.

 

Le service civil prôné par les autorités de l’occupation sioniste n’est, d’après un entretien avec Sa’ïd Naffa’, qu’un piège dans lequel l’Etat veut enfermer les Palestiniens de l’intérieur. Au cours de la guerre contre le Liban en juillet 2006, cet Etat a réalisé qu’il avait besoin de personnel dans ses institutions publiques, lorsque ses citoyens juifs sont au front et dans les institutions militaires et sécuritaires. Il a également besoin d’entrer dans la société palestinienne, dans ses régions et ses quartiers, pour la démanteler de l’intérieur, assistant à un retour en force de la cohésion et des revendications nationales. Les jeunes palestiniens du service civil seraient le canal israélien, ceux qui seraient au service de l’Etat colonial contre leur propre société.

Les Palestiniens de 48 ont réagi assez rapidement contre le service civil. Partis politiques, associations, chefs spirituels, municipalités et haut comité de suivi des Arabes de l’intérieur se sont mobilisés contre cette nouvelle forme de collaboration obligatoire avec les autorités. Plusieurs comités comme les « mères contre le service civil » ou les « étudiants contre le service civil » ont vu le jour et s’activent pour expliquer à la population les dangers qu’il représente pour la cohésion sociale et nationale.

 

Etat d’Israël : Etat d’apartheid

 

Le dernier rapport sur la montée du racisme israélien envers la population palestinienne de 48 est l’indicateur le plus récent sur la progression et la quasi-généralisation du racisme dans la société israélienne, qui se perçoit comme une société occidentale supérieure et qui réclame l’expulsion des Palestiniens de 48 (formulée par un député et ministre israélien, Lieberman) pour vivre « entre Juifs ». L’association pour les droits des citoyens en Israël a, dans son rapport, démontré que l’opinion de la population israélienne n’est pas si différente de ses dirigeants, qu’ils soient jeunes universitaires ou habitants de cités.

Dans un débat télévisé sur al-Jazeera consacré au rapport sus-mentionné, un professeur d’université anciennement ministre du culte, Shatrit fait porter la responsabilité de la montée du racisme à la population palestinienne elle-même, reprenant la vieille formule constamment renouvelée par les idéologues sionistes que les Palestiniens sont eux-mêmes responsables de leur catastrophe parce qu’ils refusent les recettes israéliennes. Tout au long de l’émission, il a évité de prononcer le terme même de racisme lorsqu’il s’agissait de dénoncer des actes ou des paroles, même celles de Lieberman, se contentant de déplorer un état de fait dont les Palestiniens seraient également responsables, d’après lui.

 

Quant à Jamal Zahalka, député du Rassemblement national démocratique, il commente le rapport disant que la montée du racisme dans la société israélienne témoigne de la crise d’identité dans cette société que les dirigeants essaient d’escamoter en la mobilisant dans la haine envers les Palestiniens et les Arabes. Il n’est pas étonnant que ce racisme se développe quand tous les jours, de nouvelles lois racistes sont votées à la Knesset : la loi sur le retrait de la nationalité (visant Azmi Bishara et sheikh Raed Salah), la loi sur la vente des terres exclusivement aux Juifs, sur les conditions de la citoyenneté et la proclamation de la fidélité à l’Etat juif, etc… Le danger du racisme réside quand il est accompagné d’une force, ce qui montre la gravité du développement du racisme dans l’Etat, ses institutions et ses médias, car il constitue une menace stratégique contre les Palestiniens de l’intérieur.

 

Pour revenir au mot du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, les autres, ce sont ces Palestiniens enracinés qui, les mains nues, poursuivent inlassablement leur combat contre l’institution la plus coloniale et la plus raciste au monde, abandonnés par les officiels de l’OLP et de l’Autorité palestinienne, mais en liaison permanente avec leur peuple, dans les territoires occupés et les camps de l’exil.

Centre d'Information sur la Résistance en Palestine


Source : Cirepal

10 décembre 2007



12/12/2007
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