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Dulce bellum inexpertis

La rhétorique de la guerre
 
 

Demain (20 août 2009), environ 15 millions d’électeurs seront appelés aux urnes en Afghanistan pour élire un nouveau président. A cette occasion les citoyens afghans, comme en octobre 2004, voteront dans une situation  d’extrême précarité politique et sociale. L’escalade de violence qui ensanglante ces jours-ci le pays tout entier le démontre tragiquement. Que ce soit l’actuel président Hamid Karzaï qui gagne ces élections, comme c’est probable, ou l’un de ses deux principaux  concurrents –l’ex ministre des Affaires étrangères Abdullah Abdullah ou l’ex ministre des Finances Ashraf Ghani - la situation ne changera pas et peut-être s’aggravera-t-elle ultérieurement.

Ce qui compte aujourd’hui en Afghanistan est la violence des armes de destruction  de masse utilisées par les agresseurs, et c’est la vaste, et obstinée, réponse à l’occupation étrangère des insurgent, les rebelles  qui, selon la BBC, contrôlent 70% du pays.  Ce qui compte surtout  c’est la volonté des Etats-Unis et de leur président Barack Obama de gagner en Afghanistan la guerre contre le global terrorism.  C’est l’idée, partagée par la mission Isaf-Otan, qui opère illégitimement en Afghanistan, d’effacer les terroristes de la surface de la terre avec une stratégie tout aussi terroriste : c’est l’imposante opération militaire « Coup d’épée », qui implique jusqu’à 4.000 marines au fond du sud-ouest d’Afghanistan, avec l’objectif d’anéantir le mouvement  taliban.

L’opération,   qui comporte l’ajout de plusieurs milliers de soldats étasuniens aux 60 mille déjà présents sur le territoire afghan, a été décidée et réalisée avec une intempestivité exceptionnelle par le nouveau président Barack Obama.  Sa ligne de  politique extérieure risque désormais de ne pas s’éloigner de celle de son prédécesseur George Bush, surtout lorsqu’il revendique  l’intervention  comme une « guerre de nécessité ». Malgré son réalisme à comprendre qu’aucune victoire immédiate n’est possible et que la guerre sera « longue et difficile », malgré son nouveau style de communication et les nombreux espoirs que son ouverture au monde musulman a suscitée, le fait est que B. Obama se déclare convaincu  que ce sera la force  des armes qui ramènera la paix en Afghanistan.

Dans ce contexte, il est donc raisonnable de retenir que les élections du 20 août finiront par être  à peine plus qu’une farce, malgré  la rhétorique procédurale imposée par les puissances occidentales qui occupent le pays : une rhétorique imposée non seulement par les Etats-Unis mais aussi par leurs alliés européens de la mission Isaf-Otan, à commencer par le gouvernement italien,  par son président discrédité et par ses ministres Frattini et La Russa (pour la rhétorique de leurs homologues français,  le 4 septembre 2009, voir note , ndt).

C’est la rhétorique de la conversion violente à la démocratie et au respect des droits humains d’un peuple dévasté par la pauvreté, par la sècheresse, par l’analphabétisme, par la discrimination de genre – qu’on pense à la décision de Karzaï  d’accréditer le droit à la violence contre les femmes par les chiites, juste pour avoir leur vote !- par les maladies épidémiques et, surtout, par des décennies de guerre d’agression qui ont jusqu’à présent fait plus de deux millions de morts, et continuent à en faire aussi à cause des millions de mines répandues sur le terrain par les agresseurs.

C’est la rhétorique qui a poussé même un internationaliste (juriste de  droit international, ndt) notoire comme Antonio Cassese –voir son intervention sur La Repubblica du 17 août- à faire l’éloge du ministre La Russa. Cassese en est arrivé à exalter la participation des troupes italiennes –plus de 3 mille soldats- à la guerre d’agression en Afghanistan ; à tourner en dérision le « vil pacifisme » de ceux qui,  contre La Russa, se réclament de l’article 11 de la Constitution italienne  ; et à présenter comme totalement légitime la mission militaire Isaf-Otan que le Conseil de sécurité de l’ONU n’a, en réalité, jamais autorisée à employer les armes.  

Comme il est tristement notoire, la mission qui en 2001 avait été présentée comme une « mission de paix » en soutien du peuple afghan s’est rapidement transformée en un véritable agression militaire aux côtés des troupes anglo-étasuniennes. Récemment, on a découvert des fosses communes creusées dans les étendues arides de l’Afghanistan,  où les cadavres de  milliers de talibans ont été amassés sous les yeux de la Cia. Et les milices d’occupation de la coalition militaire occidentale continuent à massacrer quotidiennement des civils innocents –environ deux mille victimes civiles rien que pour l’année 2008-  en bombardant surtout le régions du sud-est du pays. Avec comme conséquence, au nord comme au sud du pays, les morts, les blessures, la mutilation des corps,  le massacre des mineurs, en augmentation constante, comme le savent les médecins et les chirurgiens d’Emergency.  La « guerre humanitaire » se révèle pour ce qu’elle est : le mépris terroriste absolu du droit à la vie. Dulce bellum inexpertis (« la guerre est douce à ceux qui ne l’ont pas éprouvée ») écrivait Erasme de Rotterdam. A ce qu’il semble, c’est valable aussi pour les juristes de renommée internationale.  

Le 5 septembre 2009

Reçu de l’auteur et traduit par m-a p.

Edition du 19 août 2009 de il manifesto


Notes

[1] Version française de la même rhétorique : déclarations de N. Sarkozy et B. Kouchner, vendredi 4 septembre à la suite de l’explosion d’une bombe qui a fait un mort et 9 blessés graves dans le contingent  français de la « mission de paix », voir :

http://www.actualite-francaise.com/depeches/soldat-francais-tue-afghanistan-neuf-blesses,5556.html  :

« Le chef de l’État a réaffirmé son soutien au peuple afghan et aux autorités afghanes. Il a condamné avec force cette violence aveugle et a exprimé la détermination de la France à continuer d’œuvrer au rétablissement de la paix et au développement en Afghanistan », conclut le Palais (de l’Elysée).

Sur le bombardement par les forces de l’Isaf-Otan, qui a fait 90 morts civils,  voir :

http://fr.news.yahoo.com/3/20090905/twl-afghanistan-otan-bombardement-fcd69a8_6.html  

 

[2] Article 11 de la Constitution italienne : L’Italie répudie la guerre comme moyen d’attenter à la liberté des autres peuples et comme mode de solution des différends internationaux ; elle consent, dans des conditions de réciprocité avec les autres Etats, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les Nations ; elle suscite et favorise les organisations internationales qui poursuivent un tel objectif.

Voir aussi : http://www.lycee-chateaubriand.eu/article375.html  

Danilo Zolo (Florence) est juriste, philosophe du droit, spécialiste de Droit international, et coordinateur du site : Jura Gentium. http://www.juragentium.unifi.it/en/bionotes.htm#zolo    



07/09/2009
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