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La photo du président Sarkozy courant dans Bruxelles

La photo du président Sarkozy courant dans Bruxelles 

Les images que les gouvernants livrent d’eux-mêmes à leur peuple, permettent de mesurer la considération qu’ils lui accordent. Plus elles sont naïves, plus grand est leur mépris. Pas plus que le premier citoyen venu, en effet, un président ou un ministre ne prendrait le risque de donner volontairementde lui-même une image susceptible d’être perçue comme ridicule. C’est tout de même le B.A. - BA de la relation d’information.

Que révèle donc à ce sujet la photo, publiée par le site 20 minutes, montrant le président Sarkozy et le ministre Kouchner en train de courir - «faire leur jogging», dit le journal - dans les rues de Bruxelles tôt le matin, «avant d’entamer la seconde journée» du conseil européen, le 12 décembre 2008?

Le leurre de l’insolite, peut-être

L’attention est sans doute captée par le leurre de l’insolite. À l’exception de Jacques Chaban-Delmas, on a vu, en effet, peu de dirigeants afficher une activité sportive en France: qui a jamais surpris le général de Gaulle ou un autre président en survêtement au petit jour en train d’arpenter les rues? Mais ce genre de scène n’est plus tellement surprenant avec le président Sarkozy: fasciné par les mœurs étasuniennes, il s’est tout de suite fait photographier, dès le début de son mandat, en train de courir dans les rues de New-York ou même de gravir le perron du palais de l’Élysée en short et tennis. Le paradoxe inédit de la scène garantissait sa diffusion médiatique.

Surtout le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée

Aussi est-ce surtout l’illusion de saisir par effraction une scène intime de la vie du président qui retient l’attention: rien de tel pour stimuler le réflexe de voyeurisme! Cet homme ordinaire, au centre de la photo, courant en tennis, survêtement et k-way à petites foulées dans une rue déserte au petit jour, à la lueur des réverbères, contraste tellement avec les représentations protocolaires attachées à sa fonction de président et avec lesquelles on finit par le confondre. C’est précisément le propre du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée que de créer ce type d’illusion d’intrusion.

-Il serait naïf d’imaginer, en effet, que président et ministre suivis de leurs gardes du corps ont été surpris par un passant tôt le matin. Ils en ont pourtant tout l’air: on les voit si concentrés dans l’effort, les yeux rivés sur le pavé, parfaitement indifférents à la caméra qui les filme, comme si la photo était «une information extorquée» à leur insu et/ou contre leur gré.

-Il n’en est rien, bien sûr! Ce n’est que la mise en scène mûrement réfléchie d’une «information donnée» volontairement, sinon les gardes du corps auraient eu tôt fait d’écarter le photographe intrus. Le président l’a rappelé aux journalistes accrédités réunis pour sa conférence de presse du 8 janvier 2008: quand vous êtes à mes côtés, c’est que je vous ai sifflés; sinon vous ne pouvez pas m’approcher! Ici, c’est un photographe de l’AFP, D. Faget, auteur du cliché, qui a été prié de se lever tôt le matin pour recueillir cette «information donnée» et faire la promotion du président.

Une image édifiante du président et de son ministre

Celui-ci entend, en effet, livrer par cette photo au bon peuple qui ne percevra même pas le leurre, une image édifiante de lui-même repeinte aux couleurs de la crise économique. Il paraît vouloir effacer des mémoires les mois d’une vie clinquante au luxe effréné, avec Fouquet’s, yacht de milliardaire, montre de prix et mannequin. Cette photo de course matinale en est même le contraire. Elle est riche, à cet effet, de métonymies et de symboles.

1- Ce sport est d’abord à lui seul tout un symbole: c’est le sport de Monsieur Toutlemonde, riche ou modeste. Il ne demande pas d’équipement coûteux, seulement la volonté de soumettre son corps à la douleur de l’exercice. C’est la cause de l’effet que présente ici une première métonymie: on voit le président et son ministre grimacer sous l’effort, concentrés sur chacune de leurs foulées, la bouche entrouverte au rythme d’un souffle régulier.

2- L’heure matinale, à la lueur des réverbères, n’est pas non plus un symbole laissé au hasard: c’est celle de «ceux qui se lèvent tôt». Le président les a célébrés lors de sa campagne électorale. Il donne donc l’exemple: lui et son ministre, avec leurs responsabilités, ne sont pas gens à faire la grasse matinée, pas plus qu’à traîner tard la nuit dans des boîtes ou des parties. La preuve? C’est qu’ils sont sur le pont de bonne heure. On remarquera que la compagnie des femmes n’a pas sa place à cette heure: il n’y a que des hommes dans cette course d’hommes.

3- Mais ce n’est pas tout, la photo comprend encore deux autres métonymies. L’une présente l’effet visible d’une hygiène de vie: s’il s’adonnait à des produits toxiques par exemple, le président pourrait difficilement courir comme il le fait. Même lors du sommet des chefs d’État européens qu’il préside, le président se réserve un temps pour l’exercice physique. Il a fait sien l’adage inspiré du poète latin Juvénal: «Mens sana in corpore sano», un esprit sain dans un corps sain. Ce faisant, le président se donne en modèle à son peuple.

4- La seconde métonymie, enfin, offre cette course matinale comme l’effet d’une autre cause. C’est la meilleure manière pour le président de publier un bulletin de bonne santé. Depuis le président Mitterrand, on sait le crédit qu’il faut attacher à des certificats publiés par un médecin personnel. Le lecteur est invité ici à juger sur photo. Rien ne vaut «la preuve par l’image»!

Malheureusement, c’est bien là toute la limite de l’opération. Puisqu’elle peut n’être qu’une mise en scène tissée de leurres comme on vient de le montrer, une image ne saurait être présentée comme une preuve sauf à une peuplade de naïfs. Serait-ce donc l’idée que se feraient le président et son ministre de la majorité du peuple qu’ils gouvernent quand ils osent livrer d’eux-mêmes pareille image pieuse, somme toute un peu ridicule? Qu’a-t-on besoin de savoir que le président s’adonne à l’exercice physique, ou que, par d’autres photos, il soit chéri de sa dernière épouse?

Paul Villach



16/12/2008
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