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nie : manipilateurs ou manipulables?

Services de renseignements: manipulateurs ou manipulables ?



 

Rarement un rapport des services de renseignement (National Intelligence Estimate, ou NIE) aura si directement influé sur un débat de politique étrangère aux Etats-Unis. Quand les seize agences de renseignement (dont notamment la CIA, la NSA ou encore la DIA) ont unanimement dénoncé les précédentes assertions qu'elles avaient faites sur la situation en Iran, elles ont contredit des estimations plus pessimistes qu'elles avaient faites il y a près de deux ans. Le rapport NIE de 2005 montrait, « avec un haut degré de confiance », que l'Iran était déterminé à développer des armes de destruction massive. D'après le rapport publié le 3 décembre 2007, Téhéran aurait stoppé son programme nucléaire à finalité militaire depuis 2003 et, selon les estimations, ne l'aurait pas repris depuis. La dimension politique de la publication de ce rapport, à un an des élections présidentielles aux Etats-Unis, est indiscutable. Bien plus, cette publication pose directement la question de l'indépendance des services de renseignement aux Etats-Unis.

Une National Intelligence Estimate, qui exprime l'opinion des seize agences de renseignement américaines, est un des documents les plus officiels de ces agences et, en général, est classifié. La décision de déclassification relève directement des responsables politiques.

Si ce document constitue une remise en cause de la politique de l'Administration Bush en Iran, cette dernière, ou tout du moins certains de ses membres, devait bien avoir un intérêt à le faire publier. En novembre dernier, l'actuel directeur de la CIA, Mike McConnell, avait déclaré que ce rapport ne serait pas publié. Aucune explication officielle n'est venue expliquer le retournement de situation. Toutefois, le rôle de Robert Gates, actuel Secrétaire à la Défense et ancien directeur de la CIA, semble évident dans la publication de la NIE. Partisan d'une ligne plus « réaliste » et modérée au sein du Parti Républicain, qui s'oppose à la ligne néo-conservatrice, Robert Gates fait partie de ceux qui, au sein de l'Administration Bush, sont favorables à plus de diplomatie dans la politique étrangère américaine. En ce sens, la publication de ce rapport serait une « victoire » pour les Républicains modérés face aux néo-conservateurs. En vue des prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, cette inflexion au sein du camp républicain pourrait alléger l'héritage encombrant de l'Administration Bush.

Outre les interrogations que soulèvent la publication même du rapport, le contenu de la NIE de 2007 est singulier. Il ne faut pas oublier que des militaires sont aujourd'hui à la tête des services de renseignement américains, ce qui n'était pas le cas en 2005. Mike McConnell, directeur des services de renseignement américains (DNI) depuis janvier 2007, est un ancien vice-amiral venu remplacer John Negroponte, un diplomate. Le Général Michael Hayden a quant à lui été nommé à la tête de la CIA en mai 2006, suite à la démission soudaine de Porter Goss, ancien agent de la CIA et aujourd'hui homme politique. La NIE de 2007 présente-t-elle ainsi une vision moins politisée de la situation en Iran que ne l'était la NIE de 2005 ? A travers cette NIE, les services cherchent-ils à affirmer leur autonomie vis-à-vis d'une Administration aujourd'hui affaiblie et à laquelle ils ont pu servir de caution après les attentats du 11 septembre ?

Reste à savoir qu'elle est la fiabilité de ces nouvelles estimations. Qu'en est-il de l'indépendance des services de renseignement aux Etats-Unis, pays souvent montré comme un modèle en la matière ? Si les services de renseignement américains se sont trompés en 2005, cela soulève de nombreux problèmes puisque l'Administration Bush s'est appuyée sur ces estimations pour justifier sa politique au Moyen-Orient. A ce titre, les conclusions des agences de renseignement quant à l'existence d'un programme nucléaire en Iran étaient effectivement en accord avec les avertissements de certains hauts responsables de l'Administration Bush, tel que Dick Cheney, sur la menace iranienne. En revanche, si les services de renseignement ne sont pas indépendants vis-à-vis des pouvoirs politiques, cela pose alors un problème quant à leur légitimité et leur crédibilité. En effet, s'ils sont utilisés au service d'une politique préétablie, ils se dévoient des grands principes du renseignement : aider les autorités gouvernementales à déterminer une ligne de conduite à partir d'informations et d'analyses fiables, la fiabilité étant d'autant plus nécessaire que le renseignement est destiné à justifier l'action politique.

Quoiqu'il en soit, cet épisode vient confirmer la complexité de la relation entre les services de renseignement américains et le politique que les scandales du Watergate ou Iran-contra avaient déjà soulignée. Si les services de renseignement sont censés travailler en toute indépendance, leur mission est directement liée au politique puisque l'objectif principal et fondamental du renseignement est d'informer les responsables politiques, en collectant et analysant l'information dont ils ont besoin, afin qu'ils puissent prendre leurs décisions de manière la plus « éclairée » possible.

Le recours toujours plus croissant au renseignement pendant la Guerre froide a rendu nécessaire la mise en place de « checks and balances ». Ainsi, depuis les années 1970, le Sénat et la Chambre des Représentants, à travers les Commissions Pike et Church, exercent un contrôle (Congressional Oversight) sur les activités des services de renseignement. Au-delà de la nécessité démocratique d'instaurer un contrôle sur les services de renseignement, le contexte offrait une véritable justification : la Guerre du Vietnam, le scandale du Watergate, les révélations concernant des activités d'espionnage sur le territoire américain, ou encore les assassinats ou les tentatives d'assassinats de leaders étrangers. Certes, ce contrôle a permis de redonner de la crédibilité aux services, mais poussé à son extrême, il a également conduit à une attitude « mains propres » de la part des services de renseignement américains. La peur de voir les services de renseignement manipuler le politique a conduit alors à privilégier le renseignement électronique (SIGINT) au détriment du renseignement humain (HUMINT). La prévalence de SIGINT a d'ailleurs été largement décriée au lendemain du 11 septembre, car elle a été considérée comme l'une des causes de l'incapacité des services de renseignement à anticiper les attaques terroristes.

L'équilibre n'est donc pas aisé à trouver, d'autant plus que la question de la politisation du renseignement fait débat. L'Administration Bush est-elle à l'origine d'une certaine politisation du renseignement (illustrée par le cas des armes de destructions massives en Irak en 2003), ou les services de renseignement, sciemment ou non, ajustent-ils d'eux-mêmes leurs rapports avant même que ceux-ci soient soumis aux responsables politiques en fonction de ce qu'ils pensent être la ligne politique du moment ?

En France, le débat sur le renseignement est bien moins passionné. Peu considérés par les hommes politiques, qui ont tendance à ne les voir que comme un instrument parmi d'autres, et par l'opinion publique, qui n'en connaît que les déboires, les services de renseignement français souffrent d'un certain déficit de crédibilité. Un premier pas vers la reconnaissance a été fait le 9 octobre 2007 avec l'adoption par l'Assemblée nationale et le Sénat de la loi portant création d'une délégation parlementaire au renseignement. Cette délégation bipartisane devrait permettre d'informer le Parlement sur l'activité générale, le budget et l'organisation des services de renseignement tout en préservant le caractère secret de leurs activités. On est encore loin de la « transparence », ou tout du moins la communication, dont font preuve les Etats-Unis en la matière, à travers les déclassifications et les rapports réguliers de la communauté du renseignement – qui, on l'a vu, restent sujet à caution. En France, au moment où on l'on parle d'un renforcement des capacités de connaissances et d'anticipation, et donc du rôle du renseignement, mais également au moment où la France renforce les pouvoirs du Parlement dans un domaine stratégique, et au moment où la délégation parlementaire au renseignement tient sa première réunion ce 12 décembre 2007, on peut se demander s'il ne faut pas aller plus loin et donner des éléments d'investigation aux parlementaires pour contrôler l'activité des services.

Charlotte Lepri

12 décembre 2007



Source : IRIS
http://www.iris-france.org/...


21/12/2007
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