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nizar qabbani — je suis pour le terrorisme

Je suis pour le terrorisme

 


On nous accuse de terrorisme
Si nous prenons la  défense
D’une rose, d’une femme
Et d’un infaillible poème
D’une patrie qui n’a plus
Ni eau ni air
Ni tente ni chamelle
Ni même de  café noir.



On nous accuse de terrorisme
Si nous avons le courage de défendre
La chevelure noire de Balkis
Les lèvres de Maysoun
Hind, Daad
Ou Loubna et Rabab
Et une pluie de khôl noir
Tombant de leurs cils comme une inspiration !
Vous ne trouverez pas chez moi
De poème secret…
De langage secret
Ni de livre secret enfermé derrière portes closes
Et je ne garde pas de poème
Arpentant les rues, voilé par un hijab.


On nous accuse de terrorisme
Quand nous écrivons sur les dépouilles  de notre patrie
Foulée, démembrée, déchiquetée
Aux moignons dispersés
Une patrie cherchant son nom
Et un peuple innommé
Une patrie qui a perdu ses anciens grands poèmes
À l’exception de ceux de Khansa
Une partie qui a perdu sa liberté rouge, bleue ou jaune
Une patrie qui nous interdit
D’acheter un journal
D’écouter les informations
Une patrie où les oiseaux sont interdits de pépiement
Une patrie
Dont les écrivains écrivent
Sur le vent, par peur.
Une patrie
À l’image de notre poésie
Faite de mots abandonnés
Hors du temps
Importés
Avec une face et une langue étrangères…
Sans début
Ni fin
Sans lien avec son peuple ou son pays
Impasse de l’humanité
Une patrie
Allant aux négociations de paix
Sans dignité
Nu-pieds
Et sans aucune dignité
Une patrie
Où les hommes pris de peur se sont pissés dessus
Et où seules restent les femmes !


Le sel est dans nos yeux
Le sel est sur nos lèvres
Ou dans nos paroles
La sécheresse de nos âmes
L’avons-nous héritée des Beni Kahtane ?
Il n'y a plus de Mouaouya  dans notre nation
Ni d’Abou Sufiane
Plus personne pour dire « NON ! »
À ceux qui ont bradé nos foyers, notre terre
Et ont  fait de notre histoire radieuse
Un bazar !
Il n’est plus un seul poème dans notre vie
Qui n’ait perdu sa virginité
Dans le lit du Pouvoir
Nous nous sommes accoutumés à l’ignominie
Que reste-t-il donc d’un homme
Lorsqu'il s'est habitué au déshonneur ?
Je cherche dans le livre  de l'histoire
Oussama Ibn Munqidh
Okba Ibn Nafi
Je recherche Omar
Je recherche Hamza
Et Khalid chevauchant vers Damas
Je recherche Al Mutasim  Billah
Sauvant les femmes
De la barbarie des envahisseurs
Et des furies des flammes
Je recherche l’homme de la fin des temps
Mais ne trouve que des chats effrayés dans le noir
Craignant pour leur vie
Menacée par le règne des souris.
Sommes-nous atteints  de cécité nationale ?
Ou sommes-nous devenus daltoniens ?


 

On nous accuse de terrorisme
Quand nous refusons la mort
Sous les bulldozers d’Israël 
Qui dévastent  notre terre, notre histoire, nos Évangiles
Notre Coran
Les reliques de nos prophètes
Si c'est là notre crime
Que le terrorisme est beau !


On nous accuse de terrorisme
Si nous refusons notre extinction
par les Mongols, les Juifs, les Barbares
 Si nous lançons des pierres
Sur les vitres
Du Conseil de Sécurité
Aux mains des Tsars de notre temps
On nous accuse de terrorisme
Si nous refusons
De tendre notre main à
L’Amérique
Ennemie des cultures humaines
Elle-même sans culture,
Ennemie des civilisations humaines
Elle-même sans civilisation
L'Amérique, bâtisse géante
Sans murs.




On nous accuse de terrorisme
Si nous refusons une époque où l’Amérique
est devenue suffisante, riche, puissante
Traductrice assermentée
de l’hébreu.
On nous accuse de terrorisme
Si nous lançons une rose
Vers Jérusalem
Vers Al Khalil
Vers Gaza
Vers Nazareth
Si nous livrons du pain et de l’eau
Aux Troyens assiégés.


On nous accuse de terrorisme
Si nous élevons la voix
Contre les dominateurs qui veulent nous isoler
Contre tous ceux qui ont changé de selle
Et d’unionistes sont devenus laquais.



On nous accuse de terrorisme
Si nous faisons profession de culture
Si nous lisons un livre de juridiction ou de politique
Si nous en appelons à notre Dieu
Si nous la lisons la Sourate Al Fatah
Et écoutons le prêche du Vendredi
Nous commettons là un acte terroriste.


On nous accuse de terrorisme
Si nous défendons notre pays
Et la dignité de son sol
Si nous nous révoltions contre l’extorsion de notre peuple
Notre propre extorsion
Si nous protégeons le dernier palmier de notre désert
Et la dernière étoile de notre ciel
Et les dernières lettres de nos noms
Et la dernière goutte de lait du sein de notre mère
Si tel est notre crime
Que le terrorisme est magnifique !

 

Je suis un terroriste
Si le terrorisme peut me préserver
Des immigrants de Russie
De Roumanie, de Hongrie, de Pologne
Qui se sont installés en Palestine sur notre dos
Pour voler les minarets de Jérusalem
La porte d’Al Aqsa
Ses ors et ses dômes.


Je suis pour le terrorisme
Si nous pouvons libérer le Christ
La Vierge Marie et la Ville sainte
Des émissaires de mort et de dévastation
Hier la route nationale traversait nos terres
Triomphante comme un pur-sang arabe
Et nos parcs étaient des rivières coulant avec vigueur et fierté
Après Oslo
Nous avons perdu nos dents
Et sommes devenus un peuple frappé de surdité et de cécité.


 

Je suis pour le terrorisme
Si cela peut me préserver des Tsars juifs
Et des Césars romains.


Je suis pour le terrorisme
Tant que ce nouveau monde
Sera également divisé entre
Amérique et Israël.


Je suis pour le terrorisme
Tant que ce nouveau monde
Nous classera comme loups


Je suis pour le terrorisme
Tant que le Congrès américain
Fera la loi
Et décidera des récompenses et des châtiments.


Je suis pour le terrorisme
Tant que ce nouveau monde
Détestera profondément
L’odeur des Arabes.



Je suis pour le terrorisme
Tant que ce nouveau monde
Massacrera mes bébés
Et les jettera aux chiens.


Pour tout cela
Je veux crier haut et fort
Je suis pour le terrorisme
Je suis pour le terrorisme
Je suis pour le terrorisme.

 

Nizar Qabbani

Traduit par Fausto Giudice


 

 


• Note du traducteur à l’usage des lecteurs ignorants des références arabo-musulmanes


Balkis : c’est le nom arabe de la Reine de Saba, dont la rencontre avec Salomon (Souleyman) est relatée dans la Sourate 27 (An Naml, Les Fourmis) du Coran). C'est aussi le prénom de la seconde épouse du poète (voir ci-dessous).
Maysoun, Hind, Daad, Loubna et Rabab : prénoms féminins évoquant la beauté
Khansa : « la gazelle », surnom de Tumadir Bent Amr (575-646), poétesse antéislamique célèbre pour les élégies à ses frères Sakhr et Mouaouya.
Rouge, bleu et jaune : le rouge est le feu, chaud et sec, le bleu la terre, froide et sèche et le jaune l’air, chaud et humide. Le rouge symbolise Mars, le bleu Mercure, le vert la Lune.
Beni Kahtane : fils de Kahtane, tribu originelle des Arabes,apparue après le déluge et vivant dans le Hijaz.
Mouaouya Ibn Abi Sufiane (603-680) : fils de l'un des plus farouches adversaires du prophète Mohamed : Abou Sufiane Ibn Harb. Il est le premier ommeyyade à porter le titre de calife en 661. Il prend ce titre à Ali à la suite d'un abritrage entre Ali et lui après la bataille de Siffin. Les Ommeyyade tirent leur nom d’Omayya, grand-oncle du prophète Mohamed. Ils appartenaient à la tribu des Quraychites, tribu dominante à La Mecque au temps du prophète. Après s'être opposés à celui-ci, ils l'avaient rejoint au dernier moment.
Oussama Ibn Munqidh : prince syrien, né en 1095 à Chayzar sur l’Oronte et mort à Damas en 1188. Auteur d’une autobiographie, L’Itibar, « L’expérience », dans laquelle il relate ses rapports avec les Francs : « Quand on est au fait de ce qui touche aux Francs on ne peut qu’exalter et sanctifier le Très Haut, car on voit en eux des bêtes qui ont la vertu du courage et de l’ardeur guerrière ».
Oqba Ibn Nafaa (ou Nafi) : conquérant arabe du Maghreb oriental, ce Quraychite défait les troupes  de l'exarque byzantin Grégoire en 647 à Sbeïtla et devient gouverneur de l'Ifriqiya en 663. Il a édifié la Grande mosquée de Kairouan dans l'actuelle Tunisie.
Omar Ibn Khattab : Quraychite, second calife de l’Islam après Abou Bakr.
Hamza Ibn Abdul Muttalib : oncle de Mohamed, avec lequel il a été élevé. L’un des premiers convertis à l’Islam, sa bravoure au combat lui valut les surnoms de « lion d'Allah » et de  « lion du ciel ».
Khalid Ibn Al Walid (584 – 642), aussi appelé Abou Souleyman, surnommé « l’épée d’Allah », un Quraychite, fut le principal général de Mohamed après sa conversion. Il participa après la mort du Prophète à la reconquête de la péninsule arabique et est le commandant des armées arabes lors des conquêtes de l'Irak et de l'empire byzantin (bataille de Yarmouk). Sur plus de cent batailles qu’il commanda, il n’en perdit aucune.
Al Mutasim Billah : (794-842) : troisième fils de Haroun Al Rachid, « huitième calife Abbasside qui remporta huit batailles, qui eut huit enfants mâles et huit filles, qui laissa à sa mort huit milles esclaves et qui a régné huit années huit mois et huit jours » (Jorge Luis Borges, Fictions).

• Nizar Qabbani (1923-1998), né en Syrie en 1923, est l’un des poètes arabes les plus populaires du XXème siècle. Il a, dans une cinquantaine de recueils, renouvelé la poésie arabe par ses textes érotiques et antiautoritaires souvent mis en musique et chantés. Il fait irruption en 1954 avec un premier volume « Enfance d’une poitrine », qui rompt avec le conservatisme ambiant. Très marqué par le suicide de sa sœur, qui refusa d’épouser un homme qu’elle n’aimait pas, il deviendra un poète féministe, écrivant souvent du point de vue d’une femme. Vivant à Londres depuis 1967, il y fonde une maison d’édition après la défaite arabe de 1967. Mais il reste attaché à Damas, sa ville natale, dont il chante le « parfum de Jasmin ». Et il sera diplomate pendant trente ans, représentant son pays. Au fil des années, sa poésie deviendra de plus en plus politique et contestatrice. Un vers de lui est célèbre : « Oh Sultan, mon maître, si mes vêtements sont déchirés et en lambeaux, c’est parce que tes chiens ont la permission de me mettre en pièces. » Une tragédie a endeuillé la dernière partie de sa vie : sa seconde épouse Balkis Arrawi, une enseignante irakienne, fut victime à Beyrouth d’un attentat à la bombe attribué à un groupe pro-iranien. Nizar Qabbani est mort à Londres en 1998.


Original : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2373&lg=ar
Traduit de la version anglaise d’Adib S. Kawar par Fausto Giudice, membres de
Tlaxcala, le réseau de traducteurs
pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.
URL de cet article : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2377&lg=fr



26/04/2007
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