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Gilles Munier - Saddam à Hollywood

par Gilles Munier

(Afrique Asie – avril 2011)

La télévision et le cinéma sont des outils de propagande privilégiés. Hollywood et la BBC ne se sont jamais privés d’influencer les opinions publiques, pour le meilleur et parfois pour le pire, comme la justification des crimes commis dans le monde par les administrations américaines et les gouvernements britanniques.

 

 

    « Plus vulgaire que Sacha Baron Cohen, tu meurs ! »… L’acteur britannique est connu pour ses interprétations de personnages caricaturaux, politiquement incorrects et hilarants : Borat, journaliste kazakh antisémite, et Brüno, journaliste homosexuel autrichien antisémite. Il sera Saddam Hussein dans « Le dictateur », en cours de tournage à Hollywood, comédie reprenant le titre du célèbre film de Charlie Chaplin. Selon la Paramount, le long métrage est inspiré de Zabiba et le Roi, livre écrit par le président irakien, dont j’ai coordonné la traduction en français, avec son accord (1). Mais, comme chacun sait, le respect de la vérité historique n’est pas le fort des scénaristes de Hollywood, et encore moins le souci de Sacha Baron. Le film raconte donc « les aventures héroïque d'un dictateur qui a risqué sa vie pour s'assurer que la démocratie n'arrivera jamais dans un pays si amoureusement opprimé », c'est-à-dire l’inverse du message concluant l’ouvrage. En effet, avant de mourir, le monarque remet ses pouvoirs à une assemblée populaire, comme le lui a conseillé Zabiba avant de mourir, une Jeanne d’Arc babylonienne.

    Saddam Hussein souhaitait que son roman soit adapté au cinéma. En janvier 2003, Hamid Youssef Hamadi (2), ministre de l’Information et de la Culture, m’avait demandé de rechercher un metteur en scène intéressé par le projet, et envisageait la réalisation du film sous la forme d’une coproduction franco-irakienne. La guerre du Golfe en a décidé autrement.

 

 

Docu-fictions britanniques

 

   La vie de Saddam Hussein semble fasciner la télévision britannique qui lui trouve des aspects shakespeariens, voir diaboliques au sens propre du terme. En 2007, la BBC a programmé Saddam Tribe (La tribu Saddam), le Président irakien étant interprété par l’Irlandais Stanley Townsend. Le téléfilm, inspiré d’entretiens avec Raghad - fille de Saddam réfugiée à Amman - et Latif Yahia – sosie officiel d’Oudaï Saddam Hussein – relate les violents démêlés de Hussein Kamel al-Majid, gendre du Président et ministre de l’Industrie militaire, avec le fils aîné de Saddam, présenté comme un dangereux déséquilibré. Le scénariste prend quelques libertés avec l’épilogue sanglant concluant sa défection. Il fut tué après un énième assaut de la villa où il s’était retranché, à Bagdad, apparemment pas mitraillés à bout portant par les gardes du corps de Ali Hassan al-Majid, un des chefs du clan Al-Majid. Un détail parmi d’autres, mais il s’agit après tout d’une fiction, pas d’une reconstitution historique.

   En 2008, dans le feuilleton The House of Saddam, l’acteur Igal Naor, juif bagdadi ayant émigré tout jeune en Israël, fait du Président irakien une synthèse de Staline et de Marlon Brando dans le rôle du Parrain, machiavélique et sans pitié. Naor raconte qu’il rêvait d’interpréter Saddam depuis qu’un missile Scud est tombé près de son domicile en 1991. La reconstitution de la réunion où le Président irakien lit les noms des dirigeants baasistes accusés de comploter contre lui et les  fait exécuter, est d’une grande intensité dramatique. Igal Naor est un habitué des rôles d’arabes. Il était Mahmoud al-Hamchari, représentant de l’OLP assassiné par le Mossad à Paris en 1973, dans « Munich », de Steven Spielberg, et le général Muhammad al-Rawi, un des chefs de la résistance baasiste, dans Green Zone.

   La diabolisation de Saddam Hussein est une affaire rentable pour l’industrie cinématographique occidentale, mais elle est sans influence notable sur la perception qu’a la majorité des Arabes et des musulmans du leader irakien. L’embargo-génocide du peuple irakien, les mensonges de la guerre du Golfe, le courage du Président lors de son exécution-lynchage, sont imprimés dans les mémoires sont des souvenirs intenses d’indignation, de douleur et de fierté, difficiles à effacer. Au lieu de ridiculiser Saddam avec son « Dictateur », dont la sortie est prévue en mai 2012, Sacha Baron va renforcer son mythe. L’acteur britannique, ancien militant d’une organisation de jeunesse sioniste « de gauche », aurait du demander conseil à ses amis du kibboutz Rosh Haniqra, près de la frontière israélo-libanaise, où il a longtemps séjourné. Ils lui auraient répondu qu’humilier un ennemi ne sert qu’à provoquer sa colère, son désir de vengeance... et à récolter en retour une pluie de missiles.

 

 

Moi et Saddam

 

   Pendant ce temps, et sans que les médias s’y intéressent, une série télévisée de 30 épisodes sur la vie de Saddam Hussein va être tournée en Syrie. Intitulée Ana wa Saddam (Moi et Saddam), elle est programmée pour le mois de Ramadan 2011(3). Son impact dans les pays musulmans sera autrement plus important que Le Dictateur de Sacha Baron. L’annonce que Saddam devrait être Jamal Souleiman, célèbre interprète de Salah Eddine al-Ayyoubi (Saladin), chef de la résistance musulmane aux Croisés, donne un avant-goût du scénario.

 

 

Appendice 1 :

Les longs jours

 

   L’Office irakien du cinéma a réalisé en 1980, Al-ayyam al-tawila (Les longs jours) tiré d’un roman de l’Irakien Abd al-Amir Mu’alla. Produit par Terence Young - réalisateur des premiers James Bond -, mis en scène par l’Egyptien Tewfiq Saleh, le film raconte le complot organisé en 1959, par le parti Baas, pour assassiner le Président irakien Abdel Karim Kassem. Mohammad al-Saqr, le héros membre du commando, n’est autre que Saddam Hussein. L’opération ayant échouée, le jeune révolutionnaire entra dans la clandestinité, caché notamment une ferme au bord de l’Euphrate, celle où leColonel James Hickey, des Forces spéciales américaines, le découvrit, dit-on, en décembre 2003 !

    Dans Les longs jours, Saddam est interprété par un proche parent : le colonel Saddam Kamel, un des chefs de la garde présidentielle, qui lui ressemblait physiquement. Le film fut retiré des écrans irakiens en août 1995, après la défection de ce dernier, en Jordanie, en compagnie de son frère Hussein Kamel. Les deux hommes, tués par des membres de leur tribu après leur retour à Bagdad, étaient mariés respectivement à Raghad et Rana, filles du président irakien.

 

 

Appendice 2 :

Zabiba et le roi :

message posthume de Saddam ?

 

   A sa sortie en France, il y a dix ans, Zabiba et le roi* de Saddam Hussein, était présenté comme un conte philosophique prémonitoire sur la solitude du pouvoir et l’issue fatale de la guerre annoncée. Aujourd’hui, la mise en question des régimes arabes liés aux occidentaux, incapables de satisfaire les attentes de leur peuple, jette un éclairage nouveau sur la pensée du président irakien. A travers Zabiba, « fille et conscience du peuple » symbolisant l’Irak, il se montre opposé au pouvoir absolu et à sa transmission héréditaire, convaincu de l’inéluctabilité du pouvoir populaire. Le roman décrit des débats parlementaires remettant en cause les principes de la monarchie. Après la mort de Zabiba, violée un 17 janvier, jour où les Etats-Unis ont envahi l’Irak en 1991, l’ouvrage s’achève par « Vive le peuple... Vive l’armée » que ne renieraient pas les manifestants de Tunis et du Caire. Rien à voir avec le scénario délirant concocté à Hollywood par la Paramount et Sacha Baron Cohen.

 

* Zabiba et le Roi, « par son auteur » (Saddam Hussein) – Ed. du Rocher, 2003



09/04/2011
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