a. bari atwan — exode de "l'irak nouveau"
"Il était prévu qu’on assiste en Irak à un exode en sens contraire, celui des exilés arabes et occidentaux quatre ans après la chute du régime du "tyran". Mais ce qui se passe est totalement différent.
Les Irakiens qui avaient quitté leur pays fuyant la dictature nationale n’y sont pas revenus dans leur grande majorité à l’exception de la petite minorité qui a accédé aux postes dirigeants et s’est livrée au vol et au pillage.
Plus d’un million de personnes, selon les statistiques des Nations Unies, ont quitté l’Irak de la démocratie américaine et ce chiffre augmente d’une moyenne de cinquante mille personnes par mois à destination des pays limitrophes comme la Jordanie et la Syrie.
Les nouveaux réfugiés irakiens veulent en premier lieu sauver leur vie et celle de leurs enfants, et en second à trouver un refuge dans les quelques pays européens qui accueillent des réfugiés.
Mais la plupart du temps ils se trouvent en plein dénuement, jetés sur les trottoirs sans protection internationale, et sans grandes possibilités d’aide de la part de pays d’accueil aux moyens limités qui parviennent déjà difficilement à assurer le minimum à leurs ressortissants.
Ces pays, notamment la Syrie et la Jordanie, ont eu à faire face à une crise identique quand en 1948 ils ont vu arriver des milliers de réfugiés palestiniens. Deux éléments avaient amorti l’impact. Le premier était une solidarité arabe très forte entre les peuples et les gouvernants étaient déterminés à libérer la Palestine considérée comme une obligation nationale. Le second était l’existence du Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés qui a assuré le gîte, la nourriture, les soins et la scolarité gratuite.
Dans le cas des nouveaux réfugiés irakiens, la situation est toute autre.
Ces réfugiés sont sans aucune quelconque protection. Les pays occidentaux qui ont approuvé l’invasion et l’occupation de l’Irak se détournent d’eux et, à l’exception de quelques privilégiés, leur ferment leur porte.
L’exemple le plus frappant en la matière est la position américaine qui n’a reçu que sept cent réfugiés en l’espace de quatre ans. Après de fortes pressions, les Américains ont annoncé il y a une semaine qu’ils en accueilleront sept cent autres sur cinq ans.
Un haut responsable syrien a fait part à notre journal de l’amertume du gouvernement syrien face au comportement occidental et onusien vis à vis de ce million et demi d’irakiens qui se trouvent actuellement sur le territoire syrien dans des conditions très difficiles. Il nous a révélé que l’ONU a proposé une aide de l’ordre de 12 dollars par réfugié et par an, soit un dollar par mois ! Le gouvernement syrien a rejeté l’offre qu’il a jugé insultante pour lui et offensante pour les réfugiés.
Les Etats Unis, qui ont dépensé 500 milliards de dollars pour la guerre de l’Irak sous prétexte de le libérer de la dictature et préserver la dignité et les droits de l’irakien n’offrent rien à ces réfugiés qui sont, en principe, sous sa protection, conformément à la Quatrième Convention de Genève traitant du statut des citoyens dans les pays occupés.
Il est regrettable que le gouvernement de l’Irak Nouveau, qui ne contrôle que la Zone Verte à Bagdad, ait dispensé les Etats Unis de cette responsabilité en acceptant une souveraineté illusoire et s’est comporté comme s’il était un pouvoir indépendant avec toutes ses prérogatives. Il a ainsi nui à 25 millions d’irakiens en les privant de toute perspective.
Cette hémorragie humaine ininterrompue de l’Irak fuyant les voitures piégées, les escadrons de la mort, les milices ethniques et les épurations auxquelles elles se livrent pèsera lourdement sur les générations futures durant plusieurs décennies.
Elle aboutit à la fuite de la classe moyenne et avec elle toutes les compétences techniques, artistiques, sociales et économiques. C’est la classe qui sauvegarde l’identité de la société, contribue à sa stabilité et protège son patrimoine national et culturel et veuille à son évolution.
Deux classes sociales subsistent dans l’Irak Nouveau :
La première classe : Elle comprend les chefs des milices, les dirigeants des communautés venus de l’extérieur et un cercle étroit de profiteurs qui tournent autour d’eux. Ils ont formé une classe supérieure de riches car ils ont mis la main sur les postes de la haute fonction publique qu’ils ont octroyé aux leurs. Ils se sont appropriés les richesses de l’Irak comme récompense pour leur participation à sa libération et à sa conquête.
Des documents du Congrès américain attestent que 18 milliards de dollars en monnaie ont été transportés par sacs entiers sur des avions militaires C130 du temps du gouverneur américain Paul Bremer pour être distribués, se sont volatilisés en quelques semaines.
A cela il faut ajouter le vol d’un milliard et demi de dollars du ministère de la défense et le double de cette somme des autres ministères et surtout de celui de l’énergie.
A signaler que les enfants et les familles de cette classe vivent en exil doré en Europe et se comportent comme les seigneurs de guerre conduisant les modèles de voiture les plus récents, vivant dans de luxueux appartements et certains se déplacent à bord d’avions personnels comme les émirs du Golfe.
La classe "inférieure" : C’est la majorité des fils de l’Irak. Parmi eux, ceux auxquelsi on a raconté que l’Irak Nouveau sera sûr et florissant, Bagdad ressemblera à Paris, Bassorah à New York, Mossol à San Francisco.
Ceux-là vivent dans leur région dans la terreur. Ils sont exposés à la mort à chaque instant à cause des voitures piégées, des tirs hasardeux, des raids des escadrons de la mort. La majorité de ces gens n’ont pas les moyens financiers de quitter le pays et n’ont de choix que d’adhérer aux milices ou les escadrons de la mort ou aux forces communautaires de sécurité ou aux autres groupes armés pour un morceau de pain dans l’espoir que leur sort sera meilleur que les 665 000 citoyens irakiens tués depuis l’entrée des américains.
Les exilés irakiens qui avaient fui la "dictature et le régime tyrannique", comme ils se plaisent à le répéter dans leurs réunions, ont eu plus de chance que leurs compatriotes exilés d’aujourd’hui. Ils ont trouvé des refuges qui les ont accueillis, ont préservé leur dignité et leur ont fourni une couverture politique et morale. La plupart de ces exilés étaient de gauche. Ils ont trouvé dans la tente arabe de gauche et dans l’Organisation de Libération de la Palestine et ses groupes un refuge honorable. Ils ont vécu dignement dans ses bases et ses camps au Liban avant que la majorité d’entre eux n’abandonnent le navire palestinien en faillite après l’embargo financier décrété par les pays du Golfe en 1990 suite à l’occupation du Koweit. Ils ont rejoint le navire américain plein de promesses de fortune, de fonctions dans l’Irak Nouveau. La majorité d’entre eux ont renié la gauche et ses valeurs révolutionnaires, les Arabes et l’arabéité pour se joindre à la tribu mère impérialiste, en lui offrant leurs services intellectuels et médiatiques pour la réalisation de son objectif d’occuper leur pays.
Certains de ces exilés sont retournés en Irak dans des visites exploratoires à la recherche d’un rôle, d’une récompense, d’un haut poste du temps des gouvernements Gardener et Bremer. Mais rapidement ils sont revenus à leur exil européen dans lequel ils se sont établis à cause de la "dictature et ses méfaits" tournant le dos à la démocratie américaine pour laquelle ils ont tant milité dans les médias.Ils continuent à parler du "tyran", sans lui reconnaître ne serait-ce que le mérite de ne pas avoi fui son pays et de s’être dirigé vers l’échafaud tête haute.
Les nouveaux exilés irakiens sont les fils de cette nation et victimes du mensonge américain et communautaire qui leur ont promis comme aux autres millions de leur compatriotes une vie digne dans leur patrie riche de ses ressources et de son héritage humain millénaire.
Ils sont les fils d’un peuple qui a été exposé à l’humiliation et au piétinement parce qu’une poignée de ses fils a collaboré avec l’occupation pour ses intérêts personnels, pour ses vengeances pour ses haines au détriment du pays. Ces exilés doivent recevoir toutes les attentions des pays limitrophes parce que l’Irak dans toute son histoire n’avait jamais repoussé jusqu’à présent tout Arabe, tout musulman qui demandait aide et secours.
Nous ne demandons pas aux pays limitrophes d’accueillir les réfugiés avec des bouquets de fleurs, le tapis rouge le long des frontières mais avec de la compassion et les bonnes règles de l’hospitalité et pas par la fermeture des frontières et l’application des règles sévères de résidence surveillée.
Nous comprenons parfaitement les conditions difficiles de ces pays, surtout la Syrie, qui fait face à deux embargos en même temps : l’embargo arabe et celui des américains.
Les Etats Unis encerclent la Syrie et planifient de faire tomber son régime parce qu’il n’a pas collaboré comme il lui était demandé dans les projets d’occupation de l’Irak, c’est à dire en envoyant des forces pour contrer la résistance et fournir des informations.
L’administration américaine ainsi que les pays occidentaux oublient que la Syrie a accueilli un million et demi de réfugiés Irakiens sans aucune aide extérieure, alors que les Européens et les Américains réunis n’ont même pas reçu la moitié de ce chiffre sur les trente dernières années.
Malgré la détresse, ce sont ces nouveaux réfugiés Irakiens qui vont sauvegarder l’identité de l’Irak et son patrimoine humain comme ils maintiendront son unité contre le communautarisme et présenteront une littérature belle et différente, des créations dans tous les autres domaines. Ils ne se laisseront pas duper par les mensonges de la démocratie ni par les théories des néo-libéraux qui ont renié la gauche et ses valeurs et principes en un clin d’œil. Ces nouveaux réfugiés et les hommes de la résistance nationale vont côte à côte bâtir un vrai nouveau Irak indépendant et sans communautarisme. Ils jugeront tous ceux qui ont mis leur pays dans cette situation regrettable et qui ont été à l’origine de la mort et de l’errance de millions d’Irakiens. Les années à venir verront un renouveau de l’Irak, de son image et de son rôle qui le remettra dans sa place distincte et distinguée parmi les nations. La Résistance palestinienne a surgi des camps de réfugiés dans les pays limitrophes pour poser la base du mouvement national et une nouvelle identité palestinienne pour faire face au colonialisme et sauvegarder les droits légitimes en alliance avec le front intérieur. L’expérience se renouvellera dans les mêmes endroits et probablement dans les mêmes camps dans le cas irakien.
Avec l’Irak l’histoire palestinienne se joue une deuxième fois."
A. BARI ATWAN
26-02-2007
Source : Alquds
(traduit de l’arabe par F. Labiais)
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