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GJ / Panégyrique

 
 
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« Le jaune nous a toutes et tous radicalisé »

paru dans lundimatin#176, le 29 janvier 2019
 
Panégyrique : « Discours à la louange d’une personne illustre, d’une nation, d’une cité », Dictionnaire Le Petit Robert, 2004

 

Le glas de la macronie a déjà sonné en France. Ce régime finira, comme il a commencé, par une parodie. Mais n’oublions pas que ce sont les gouvernants et les classes dominantes d’Europe qui ont permis à Emmanuel Macron de jouer pendant dix-huit mois la farce féroce du libéralisme forcené.

La Nature a engendré la raison humaine pour réaliser la fission nucléaire. Mission accomplie. Depuis, notre race culbute sur elle-même dans une course sans objet. Devenue inutile. Il ne nous reste plus qu’à assister, noués de terreur, à la multiplication insensée des gesticulations agoniques de l’espèce. Jusqu’à la fin. Et si on fêtait ça ? 

La masse déborde. Aujourd’hui, arriver dans une manifestation sans protection est devenu incongrue. De « Macron démission ! » à « Castaner nique ta mère ! », du péage de Saint-Jean de Védas à la raffinerie de Frontignan, cet hiver 2018-2019 est la plus grande fête de ce début de 21e siècle.

Les syndicats sont hors-jeu. Le « jeu » tient sa cour.

La casse est nécessaire. Le progrès l’implique. Elle serre de près la vitrine, détruit l’idée fausse, la remplace par le juste slogan.

Christophe Dettinger est situationniste sans le savoir. Tout grand boxeur a le sens de la provocation. Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses. 

L’objet gilet jaune est le total détournement du Spectacle écologique. Tout le monde a un gilet jaune dans son coffre. Il a participé à faire masse et, pour chacun, à s’identifier à l’autre : merde à Nicolas Oh’Culot !

Ce monde inquiet sent la poudre. 

Macron est déjà détruit. Bunkérisé dans son château, il ne peut faire un pas dans la rue sans qu’on ne lui crache à la gueule.

Nous pouvons dire sans nous tromper que Paris brille de ses milles feux intenses chaque Samedi. Les gueux ont repris la ville lumière à l’ânerie bourgeoise. La poésie de François Villon a repris tout son sens.

Même les écoliers chuchotent en classe et braillent durant les 15 minutes de récréation des gilets jaunes. La cause est entendue.

« Emmanuel Macron, oh tête de con, on va tout casser chez toi !!! ». Atteindre à la notion de la notion, ramener la notion à son point de départ, la placer dans un état de parfaite satisfaction, c’est là l’œuvre et le but de la sagesse populaire.

Choisir entre la marche pour le climat ou une manifestation des gilets jaunes, c’est comme choisir, une nuit d’insomnie, entre les Méditations poétiques de Lamartine et Poésie I et II d’Isidore Ducasse. De l’ennui de brouter le bitume à la fougue vengeresse des gilets jaunes, le choix est uniquement poétique.

Le jaune nous a toutes et tous radicalisé.

Le mystère de l’insurrection en cours est considéré comme insoluble par l’ensemble des intellectuels et des sociologues. En effet, ils s’évertuent tous à se demander indéfiniment comment les choses se sont passées au lieu d’étudier en quoi elles se distinguent de tout ce qui est arrivé jusqu’à présent.

Les émeutes des week-ends fin novembre-début décembre restant scotchées presque uniquement sur les Champs-Elysées sont sans précédents. Pour la première fois dans l’histoire de Paris, des gueux venus des faubourgs et de la campagne désaffectée ont agi au cœur du territoire ennemi faisant gazer ses propres habitants.

Le graffiti « les gilets jaunes triompheront » est le plus terrible pour Macron. Car, il annonce la mise à mort du régime et d’un de ses symboles, l’Arc de Triomphe.

Le slogan « Bloquons tout » remis au gout du jour par les gilets jaunes est la critique en acte de la déshumanisation de l’existence provoquée par le flux de marchandise aliénée. Cette vérité est d’autant plus belle qu’absolument spontanée.

Je n’ai jamais vu, étudié, participé à un tel mouvement ou, à chaque émergence de petits chefs auto-proclamés, ces derniers sont immédiatement vilipendés, insultés et menacés par la base.

Le gilet jaune est un objet dadaïste. Les gilets jaunes sont spontanément situationnistes. Un des leurs peut répondre spontanément à la TV, à la question « que faites-vous si vous arrivez devant l’Elysée ? », « Eh bien, on rentre ! »

Beau comme la rencontre tumultueuse entre un transpalette et la porte du ministère de Benjamin Griveau. Qu’est-ce que nous avons ri lorsque ce Griveau s’est présenté hagard pour annoncer que son ministère avait été envahi sur BFM TV ! C’était presque le remake en série Z de la fuite à Varennes.

Depuis mai 68, la casse et l’affrontement étaient réservés aux vigoureux mais souvent idéologiques militants autonomes. D’où la stratégie médiatique et étatique de différencier les casseurs aux gilets jaunes afin de discréditer le mouvement aux yeux de l’opinion publique. L’ouverture de ce contre feux para-policier est un échec politique total. Comme le disait un fameux stratège militaire, « bien que tout soit simple dans la stratégie tout n’y est pas facile », la domination n’a pas pris en compte le mouvement de fond contre son patron et, dans le conglomérat informe de ses revendications, a émergé le désir parfois inconscient mais conséquent « d’aller le chercher », lui-même nous l’ayant demandé. Pire, cette violence légitime des « premières lignes » a dépassé les agissements du black bloc et de très loin parce que le harcèlement de la police est devenu massif et répandu. Un exemple parmi tant d’autre, la prise d’assaut de la gare Saint-Roch comme l’émeute sur la place Jean-Jaurès du 5 janvier 2018 a été le fait spontané de l’ensemble de la manifestation. Et, ceux qui se mettaient en retrait avaient le sourire aux lèvres… Terrible aveux d’échec pour le pouvoir.

« Le grand débat », comme vieille recette périmée d’un pouvoir à l’agonie, sent la salve de gaz lacrymogène. Personne n’y croit, surtout pas l’Homme de Cour. Le principal est joué d’avance. Le pouvoir ne peut discuter des revendications, radicalement inacceptables pour lui. Il joue la montre et la tension. Il tente un coup de poker policier mais le jeu est dangereux. Sous la table du grand débat, les uns ajustent leurs LBD 40 quand les autres préparent leurs cocktails molotovs….

La répression policière est aussi féroce que les discours des pitres éditorialistes des chaines d’infos. Un de leur point commun : plus personne ne les croit et le bon sens des gens de peu tend vers le mépris. A Nîmes, le 13 janvier, en passant sur les grands boulevards, claudiquant, j’étais effaré et profondément choqué d’une scène terrible : une floppée de manifestants touchés par divers projectiles (LBD 40) dont la plupart à la tête. Je me souviendrai longtemps d’une alerte par radio reçue précédemment par une sympathique street medic venue me soigner : « Quelqu’un est touché ! – C’est grave ? - Oui très grave, risque de coma, touché en pleine tête… »

La BAC est l’avant-garde, le nec plus ultra de la violence de masse. On ne voit dans leurs yeux que des regards de haine. Mais cette haine, nous dit-on, est légitime. Benalla n’était que la mise en bouche. Est venu la dinde et les marrons. Reste à savoir si le pouvoir ira jusqu’à nous servir la bûche, c’est-à-dire l’arme de poing…

Le « tout le monde déteste la police » est devenu un slogan populaire. Justement, il n’est plus idéologique. Il se détermine au cours de l’intensité de la répression, et aux moments clés de l’affrontement. Il ne suit en ce sens aucun sentiment de haine, contrairement aux autonomes, mais obéit à la stratégie de la situation émeutière.

Même Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en mai 68, serait effaré de la stratégie policière mise en œuvre par Castaner-la-matraque. Obéissant depuis lors à la stratégie de la désescalade, nous assistons depuis les émeutes des banlieues de 2005 à la réplique policière disproportionnée, à l’usage d’armes qui mutilent. Alors que celles-ci étaient destinés à une partie seulement de la population (banlieusards, gauchistes de fin de manifestations), elles sont aujourd’hui, devant des gilets jaunes déterminés, utilisées massivement. Ironie de l’histoire…

La fable de l’unité nationale de l’après Charlie est bel et bien terminée. Le spectaculaire intégré, né dans les années 80, de Mitterrand jusqu’à Macron, est devenu de plus en plus réactionnaire. Il doit renoncer à ces rêves incongrus de fin de l’histoire. Il sait bien que son rêve d’innocence ne reviendra plus.

 

Geoffrey Firmin



29/01/2019
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