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dominique grange — appel à la libération de Rouillan

Appel à la libération de Rouillan

 

Le texte qui suit a été rédigé à l’occasion de la conférence de presse pour la libération de Jean-Marc Rouillan qui s’est tenue le 15 octobre 2008, à Paris [1]. Ce texte de la chanteuse « engagée à perpétuité » a été partiellement reproduit dans le courrier des lecteurs de Siné Hebdo, le 22 octobre 2008.

Nous avons été très nombreux à nous mobiliser, en 2007, pour la libération des militants d’Action Directe emprisonnés depuis plus de vingt ans, et c’est le 6 décembre de cette année-là, que la nouvelle de la « libération » de Jean-Marc Rouillan s’est propagée à la vitesse de l’éclair sur nos téléphones portables et dans les médias.

La liberté, pour Jean-Marc, enfin… on n’osait pas y croire ! Jean-Marc sortit pourtant de sa geôle de Lannemezan, puis débarqua à Marseille, dûment escorté. C’est là qu’il allait prendre ses nouveaux quartiers d’hiver et revêtir un étrange costume, celui d’un homme soudain coupé en deux, libre le jour, reclus la nuit. Libre le jour, en apparence, travaillant, marchant dans la rue comme un passant ordinaire, cassant la croûte avec des copains dans un bistrot, puis, le soir venu, regagnant seul sa cellule pour y passer une énième nuit de captif derrière des portes verrouillées, à l’image des quelques 7.600 nuits que représentèrent ses presque vingt et une années d’enfermement… Voilà donc comment on la lui avait aménagée, cette liberté tant attendue, ou plus exactement cette « semi-liberté », dans l’attente d’une autre encore, conditionnelle, celle-ci, qui lui serait peut-être consentie plus tard, à condition que, bien docile, il accepte de se châtrer de l’être pensant qu’il est, un être doué de cette parole qui nous différencie des animaux et qu’on lui interdit aujourd’hui en le renvoyant à la solitude et au silence d’un cachot. Jean-Marc a répondu, comme tous nous aurions pu le faire, aux questions d’un journaliste. En homme libre, concerné par le monde qui l’entoure, et sans jamais franchir les limites imposées par la justice quant à l’évocation de son passé de militant d’Action Directe. Il a simplement réaffirmé qu’il est un homme engagé dans son temps, que sa conscience politique ne s’est pas émoussée, malgré les années d’isolement, les grèves de la faim, les brimades, et cette « mort lente au fil des jours », si bien décrite dans son premier roman Je hais les matins… Il a revendiqué sa révolte face aux injustices, aux violences faites aux plus faibles, aux précaires, aux sans-papiers, aux sans-voix, et s’en est exprimé avec sincérité pour expliquer son nouvel engagement politique au sein du Nouveau parti anticapitaliste.

Voilà son crime, voilà ce qui lui a valu, en arrivant un soir aux Baumettes comme à l’accoutumée, de se voir pris comme une souris au piège de l’arbitraire. Voilà l’absurdité d’un système qui, non content des 21 ans d’une peine accomplie, voudrait l’emmurer encore dans un silence servile, le décérébrer et emprisonner jusqu’à sa pensée même. Chaque mot prononcé par Jean-Marc Rouillan dans cette interview a été l’objet d’un véritable procès d’intention de la part de ceux qui le guettaient depuis sa sortie dans l’attente d’un faux pas…

L’interdiction de parole : voilà donc l’issue perverse à ces vingt et un ans de mort lente, le coup de grâce, en quelque sorte ! Au moins, en montant à l’échafaud, avait-on le droit, avant d’être raccourci, de revendiquer jusqu’au bout ses convictions et de les crier haut et fort une dernière fois vers la foule assemblée, afin qu’elles vous survivent… Ici, la double peine pour Jean-Marc Rouillan, militant révolutionnaire qui ne s’est jamais renié, a été minutieusement programmée. Un simulacre de liberté, perpétuellement sous surveillance, les projecteurs des miradors braqués sur chaque mot prononcé, épiant le moindre glissement de la pensée, la moindre entorse à la sinistre logique d’une justice qui fait de lui aujourd’hui un détenu sans aucun motif pénal, parce qu’il s’est exprimé publiquement et ne s’est pas laissé réduire à devenir ce que le pouvoir voudrait qu’il soit : un fantôme, un militant vidé de sa substance, une ombre à jamais interdite de parole.

Tous les être humains naissent libres et égaux en droits. Parmi ceux-ci figure ce droit à la parole qu’il nous faut défendre bec et ongles : pour Jean-Marc Rouillan, dont la réincarcération actuelle constitue une mesure sans précédent dont nous avons le devoir de dénoncer le caractère arbitraire, mais aussi pour nous tous, citoyens de ce pays, avant que l’arbitraire, qui est le sinistre apanage des régimes autoritaires, n’y devienne la règle pour tous.

C’est pourquoi nous exigeons aujourd’hui la liberté de parole et la remise en liberté immédiate et sans condition de Jean-Marc Rouillan.

Dominique Grange, chanteuse engagée à perpétuité

27 octobre 2008



29/10/2008
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