Albano Cordeiro - ici, c'est notre Place Tahrir
Les manifestations contre la précarité de l'emploi des jeunes dans plusieurs villes portugaise le samedi 12 mars, ont réuni 300 000 personnes
Portugal, le pays le plus arabisé de l'Europe ?
L’expression se veut légèrement provocatrice. Juste pour faire savoir ou rappeler que les manifestants de Lisbonne (estimation de 200.000), Porto (80.000), Coimbra et autres villes portugaises, se sont revendiqués (certains) des évènements qui se passent actuellement dans les pays arabes[1]. Le Financial Times de ce dimanche annotait ce fait, en interviewant une participante à la manifestation de la veille.
Il y avait même une pancarte : «Ici, c’est notre Place Tahrir !» (traduite, par ailleurs en arabe). Une autre pancarte en arabe disait «Basta».
Le mouvement s’identifie (ou d’autres l’identifient à) également à une chanson du groupe Deolinda dont le titre est « Eu sou parva ! » (traduisible en «je suis conne», «je suis crétine» ….de se laisser précariser)
Presque tous les reportages, écrits ou video, font remarquer que les manifestants étaient de toutes âges. Et l’on peut observer que si Facebook a sans aucun doute été efficace, cela se doit bien plus au vieux « bouche à l’oreille » qu’au support internet.
Le nom très important de participants s’expliquerait ainsi plus simplement par le fait que la précarité touche parents et jeunes, et touche un grand nombre de secteurs de l’économie. Bien que la question-des «recibos verdes» (2) focalise les remontrances de beaucoup de précaires – ils concernent un demi-million de personnes - les autres formes de précariat concernent une grande proportion de personnes, en touchant des jeunes (stages) et des moins jeunes (stages, CDD). En fait ce sont, selon des sources journalistiques, environ 2 millions d’actifs. Ce qui a fait dire, dans une pancarte, «Um povo à rasca» : un peuple dans la galère» .
En ce qui concerne les jeunes, ils font remarquer que la génération la plus instruite et diplômée de l’histoire du Portugal, est bien celle qui subit la plus grande précarité .
Sur Facebook des appels furent aussi adressés aux «jeunes qui ont été obligés d’aller ailleurs, d’émigrer» (le chiffre de 11% est avancé pour donner une idée de leur proportion dans les nouvelles générations) , pour qu’ils manifestent dans les pays où ils se trouvent. D’ailleurs, à Paris trente manifestants se sont positionnées devant l’Ambassade du Portugal au moment de la manifestation à Lisbonne et dans les autres villes portugaises. Nous ne savons pas si d’autres rassemblements ont eu réellement lieu de la part de jeunes émigrés.
Juste une remarque sur la nature de cette manifestation
(réflexions révisables et à poursuivre)
La manifestation ne semble pas avoir été une classique initiative politique visant un changement de gouvernement. Certes, le Premier Ministre en particulier, semble avoir été, comme d’habitude dans ces circonstances, objet de moqueries et d’appel à partir (P’rà rua, dehors). C ‘est bien le système qui régit le marché du travail qui était visé.
L’absence de figures politiques médiatiques, l’aspect d’improvisation joyeuse et sérieuse au même temps, l’inventivité des slogans et des écrits sur les pancartes personnelles rédigées à la main, baladées accrochées à un bâton, tout cela mène à penser que d’autres initiatives sont possibles. Mais cela ne peut pas rester à la simple répétition de rassemblement. La logique serait de prolonger la mobilisation du côté juridique : focaliser médiatiquement la question du droit au travail.
Il faudrait tout de même rappeler que les syndicats – qui cette fois-ci ont été absents en tant qu’institution - ne peuvent pas être indifférents, d’autant plus que la matière les concerne. D’ailleurs, dans le passé, les syndicats (en particulier la CGTP), ont organisé des manifestation contre la précarité, dont une, du 18 Octobre 2007, dont le nombre de participants a été donné entre 150 et 200 mille personnes.
La manifestation du 12 mars dernier a dépassé en termes de mobilisation celle d’Octobre 2007. Les médias la classent déjà comme la plus grande manifestation depuis celle du 1er Mai 1974 après le coup d’état du 25 avril.
Suites à cette manifestation
Il va falloir suivre les possibles évolutions d’un mouvement qui pourraient persister sous d’autres formes, malgré que les voix qui prédisent que « reine ne sortira ».
Déjà, nous apprenons que des jeunes (et moins jeunes) ont l’intention de donner vie à un «Mouvement du 12 Mars»
Albano Cordeiro
Video de la manifestation :
http://www.esquerda.net/videos/protesto-gera%C3%A7%C3%A3o-%C3%A0-rasca
Ceci se pourrait être la conséquence de l’image de Portugal-pays pauvre qui court parmi les populations du Maghreb. Puisque les Portugais ce sont des gens pauvres, cela n’attire pas les candidats à l’émigration.
(2) Os «recibos verdes» ( reçus verts) sont une modalité «très moderne» de vente de travail. Le travailleur «vend» littéralement son temps de travail à un chef d’entreprise. Celui-ci le paye, aux prix en cours « dans le marché ». Le travailleur – ici, agissant comme un «free lancer»- reçoit et signe un reçu -…. vert- de la somme qui lui a été payée. Les carnets de « reçus verts »étaient auparavant (et encore aujourd’hui) pris dans les agences du Ministère des Finances. Actuellement la pratique la plus courante est de les remplir via internet sur le site du Ministère des Finances. Les sommes payées couvrent les cotisations sociales ordinaires et l’assurance chômage, mais, parce qu’il s’agît d’un produit vendu, à partir des 10.000 euros cumulés reçus en une année, à cela s’ajoute la TVA …
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