rouges de ressentiment que des squelettes de vent
nous tournoyons dans un désert d'images diffusées par les
invisibles ingénieurs du monde de la séparation permanente
retranchés dans les organismes planétaires planificateurs
infatigables du spectacle
nous ne sommes rien nous ne sommes qu'absence
une brûlure qui ne cesse pas nous n'embrassons nulle bouche
vraie nous parlons une langue de cendres nous touchons
une réalité d'opérette
nous n'avons jamais rendez-vous avec nous-mêmes
nous nous tâtons encore et toujours
nous errons dans un magma de signes froids nous traversons
notre propre peau de fantôme
le soleil du mensonge ne se couche jamais sur l'empire de
notre néant vécu atrocement au carrefour des nerfs
nous n'avons ni visage ni nom nous n'avons ni le temps
ni l'espace des yeux pour pleurer trente-deux dents
totalement neuves pour mordre
mais mordre où mais mordre quoi
de fond en comble toutes les chaînes
autour desquelles s'articulent nos chairs nos pensées
d'aujourd'hui
jusqu'à ce qu'elles cassent dans un hourrah de lumières de
naissances multiples
décrétons le refus global
les jardins des délices tremblent et éclairent au-delà
la révolte met le feu aux poudres
taillez enfants aux yeux d'air et d'eau les belles allumettes
dans la forêt des légitimes soifs
taillez les belles allumettes pour que flambe le théâtre d'ombres universel.
André Laude (1936 – 1995)
in Testament de Ravachol, éd. Plasma 1974
« Né le 3 mars 1936. Famille ouvrière. Exilé à Paris, renouera plus tard avec la terre-mère : l'Occitanie. École sous l'occupation nazie. Premières masturbations et premières révoltes. Très tôt écrit et rêve de devenir journaliste. Fait la connaissance d'une bande de poètes et peintres anticonformistes. Militant anarchiste. Autodidacte, lance à 17 ans le cri fameux : "A nous deux Paris". Réponse de l'écho : "Pauvre con". Apprend difficilement à bien faire l'amour. Rencontre André Breton, Benjamin Péret et quelques autres "phares". Guerre d'Algérie : horreur et souffrance. Des tas de petits métiers. Quitte l'Europe pendant plusieurs années. Voyages : Cuba, Orient, Asie… Revient en Europe. Écrit dans cent journaux et magazines. Publie des recueils de poèmes. Pauvreté, humiliation. Laisse pousser sa barbe pour cacher les cicatrices. Un seul désir : vivre et jouir sans entraves en cherchant à faire la peau du vieil homme ».
Ainsi se présentait André Laude lui-même, en quatrième de couverture de Joyeuse apocalypse (Stock, 1973).