LA POLICE, SA HIÉRARCHIE
Victor Hugo décrit l’absence de sens politique des policiers et la corruption des officiers. En mains endroits ces descriptions font penser à ce qu’ont documenté plusieurs gilets jaunes et militants écologistes, en filmant des gradés – le commissaire Didier Andrieux, par exemple, à Toulon – n’hésitant pas à faire le coup de poing pour pousser la troupe à être plus violente encore.
« (...) le préfet Maupas appela les commissaires de police l’un après l’autre dans son cabinet, leur révéla le projet, et leur distribua à chacun sa part du crime. Aucun ne refusa ; quelques uns remercièrent. Il s’agissait de saisir chez eux soixante-dix-huit démocrates influents dans leurs quartiers et redoutés par l’Elysée comme chefs possibles de barricades. Il fallait, attentat plus audacieux encore, arrêter arrêtés dans leur maison seize représentants du peuple. On choisit pour cette dernière tâche, parmi les commissaires de police, ceux de ces magistrats qui parurent les plus aptes à devenir des bandits. »
On peut ne compter que sur la force ; on peut aussi mépriser la politique en se moquant d’examiner les ordres, en démissionnant de sa citoyenneté.
« Quatre des pièces prises à la cour des canons furent mises en batterie contre l’assemblée, deux sur la place de Bourgogne tournées vers la grille [de l’Assemblée Nationale], deux sur le pont de la Concorde, tournées vers le grand perron [du Palais Bourbon] En marge de cette instructive histoire, mettons un fait : ce 42e de ligne était le même régiment qui avait arrêté Louis Bonaparte à Boulogne. En 1840, ce régiment prêta main-forte à la loi contre le conspirateur ; en 1851, il prêta main-forte au conspirateur contre la loi. Beautés de l’obéissance passive. »
LE PERSONNEL POLITIQUE
Hugo décrit les rouages de la force militaire en marche mais aussi l’incurie des acteurs du coup d’Etat. En lisant le court extrait, ci-dessous, comment ne pas penser à toutes ces interviews hallucinantes de ministres et de députés du parti présidentiel, incapable de parler clairement et sans erreur des grands dossiers qu’ils sont censés porter, défendre… ? La ministre du Travail, la ministre de la Santé ont alimenté les bêtisiers pour des années. La dernière vidéo hallucinante ? Celle de l’interview, le 24 juillet dernier, de la député de la troisième circonscription de la Garonne, présidente du groupe de travail sur la réforme des retraites. Dans cette vidéo, cette ancienne cartomancienne s’avère incapable d’expliquer quoi que ce soit.
« S’adressant au commissaire [chargé de disperser la Haute Cour de justice, qui pourrait vouloir faire barrage au coup d’État], il reprit :
Il y a erreur. Ces noms là ne sont pas les nôtres. MM. Bérenger, Rocher et de Boissieux ont fait leur temps et ne sont plus juges de la Haute Cour ; quant à M. Hello, il est mort.
La Haute Cour en effet était temporaire et renouvelable ; le coup d’État brisait la Constitution, mais ne la connaissait pas. Le mandat signé Maupas était applicable à la précédente Haute Cour. Le coup d’État s’était fourvoyé sur une vieille liste. Etourderie d’assassins. »
N’a-t-on pas entendu et lu, partout, que l’actuel président de la République était un homme nouveau, qu’il allait bousculer le jeu politique encrouté !?
« Hommes nouveaux, c’est ainsi qu’ils s’appellent. Nouveaux, en effet ! Inattendus, étranges, inouïs, monstrueux ! Le parjure, l’iniquité, le vol, l’assassinat, érigés en départements ministériels, l’escroquerie appliquée au suffrage universel, le gouvernement par le faux, le devoir appelé crime, le crime appelé devoir, le cynisme riant dans l’atroce, c’est de tout cela qu’ils composent leur nouveauté.
Maintenant, c’est bien, ils ont réussi, ils ont le vent en poupe, ils s’en donnent à cœur joie. On a triché la France, on partage. La France est un sac, et l’on y met la main. Fouillez, pardieu, prenez pendant que vous y êtes, pêchez, puisez, pillez, volez ! L’un veut de l’argent, l’autre des places, l’autre un cordon au cou, l’autre une plume au chapeau, l’autre une broderie à la manche, l’autre des femmes, l’autre du pouvoir, l’autre des nouvelles pour la Bourse, l’autre un chemin de fer, l’autre du vin. Je crois bien qu’ils sont contents ! (...) Se rendre eux-mêmes parfaitement heureux, dévorer eux-mêmes les finances de l’état, vivre aux dépens du Trésor en fils de famille, cela s’appelle leur politique. Leur ambition a un vrai nom : c’est de la gloutonnerie. »
Alors qu’il ne lui fallait que des traitres et des girouettes – ainsi l’actuel ministre de l’Economie, qui n’a eu de cesse, pendant la dernière campagne présidentielle, de taper sur celui qui allait être élu, en mai 2017, dont il allait devenir ministre. Bref.
« [Dans l’entourage de Louis-Napoléon Bonaparte] il y avait Lacrosse, libéral passé clérical, un de ces conservateurs qui poussent l’ordre jusqu’à l’embaumement et la conservation jusqu’à la momie. Plus tard sénateur.
Il y avait Larabit, ami de Lacrosse, tout aussi domestique et non moins sénateur.
(...)
Il y avait Abbatucci ; une conscience qui laissait tout passer. Aujourd’hui une rue.
(…)
A cette dernière époque, [l’Elysée] fut parfaitement sinistre. Il n’y resta plus une vertu. A la cour de Tibère il y avait encore Thraséas ; mais autour de Louis Bonaparte, rien. On cherchait la conscience, on trouvait Baroche ; on cherchait la religion, on trouvait Montalembert. »
LES SOUTIENS NÉCESSAIRES
Mais la police et les responsables politiques ne seraient rien si toute une partie du personnel politique et des journalistes ne confondaient panique et programme. Il suffit d’écouter le moindre débat télévisé portant de près ou de loin sur les gilets jaunes pour réaliser à quel point les idiots paniquent, justifiant toutes les violences policières, effrayantes.
« (...) ces hommes monarchiques qui parlaient d’insurrection populaire et qui invoquaient les faubourgs étaient une minorité dans la majorité, une minorité imperceptible. Antony Thouret proposa à ceux qui étaient là les chefs, de parcourir en corps les quartiers populaires, le décret de déchéance [de Louis-Napoléon Bonaparte] à la main. Mis au pied du mur, ils refusèrent. Ils déclarèrent ne vouloir se défendre [contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte] que par la force organisée, point par le peuple. Chose bizarre à dire, mais qu’il faut constater, avec leurs habitudes de myopie politique, la résistance populaire armée, même au nom de la loi, leur semblait sédition. Tout ce qu’ils pouvaient supporter d’apparence révolutionnaire, c’était une légion de garde nationale tambours en tête ; ils reculaient devant la barricade ; le droit en blouse [d’ouvrier] n’était plus le droit, la vérité armée d’une pique n’était plus la vérité, la loi dépavant une rue leur faisait l’effet d’une euménide. »
La répression a presque toujours plusieurs visages. Parmi ceux là, les arrestations arbitraires sont nécessaires. C’est ainsi que Rémy Heitz, procureur de la République de Paris, justifiait, en mars dernier, « avoir transmis une fiche pratique aux magistrats du parquet afin de maintenir en garde à vue les manifestants ayant bénéficié d’un classement sans suite. Les avocats dénoncent des détentions arbitraires. »
« Un marchand de vin des Batignolles nommé Brisadoux a été déporté à Cayenne pour cette ligne de son dossier : ’Son cabaret est fréquenté par les socialistes’. »
LA LUTTE DES CLASSES 1851-2019. DE LA DIFFUSION DU PAUPÉRISME
Alors que les gilets jaunes sont apparus pour contester la hausse du diesel, deux ou trois mois plus tard le gouvernement décidait d’augmenter de manière significative les tarifs de l’électricité. Et, dernièrement, de « raboter » – par exemple – certaines aides permettant aux personnes âgées de bénéficier d’aides à domicile.
« D’ordinaire les grands crimes d’État frappent les grandes têtes, et se contentent de cet écrasement ; ils roulent comme des blocs, tout d’une pièce, et broient les hautes résistances ; les victimes illustres leur suffisent. Mais le Deux-Décembre (sic) [1851] eut des raffinements ; il lui fallut en outre les victimes petites. Son appétit d’extermination alla jusqu’aux pauvres et jusqu’aux obscurs ; il eut de la colère et de l’animosité jusqu’en bas ; il fit des fêlures au sous-sol social pour y infiltrer la proscription ; (...) pas une tête, même humble et chétive, n’échappa. On trouva moyen d’appauvrir les indigents, de ruiner les meurt-de-faim, de dépouiller les déshérités ; le coup d’État fit ce prodige d’ajouter du malheur à la misère. »