En fait, lorsque le moment est arrivé, pour éviter une atrocité terroriste les autorités américaines n’ont même pas eu besoin d’aller chercher l’information. Le père du terroriste s’est présenté lui-même à l’ambassade des Etats-Unis au Nigeria pour les avertir que son fils, Umar Farouk Abdulmutallab, avait disparu et qu’il pouvait se trouver en compagnie de terroristes yéménites.
Entretemps, l’Agence de Sécurité Nationale US savait qu’Al Qaeda au Yémen préparait un Nigérian non identifié pour une attaque contre les Etats-Unis. Et pour couronner le tout, voilà Abdulmutallab lui-même, un Nigérian de 23 ans à destination de Détroit qui achète son billet en espèces, n’enregistre pas de bagages et ne fournit aucune adresse de contact. Pendant sept ans le gouvernement américain a manipulé l’opinion publique avec ses niveaux d’alertes terroristes multicolores. Mais lorsque tous les voyants étaient au rouge, il n’a rien fait.
Qualifier cette tentative « d’échec systémique », comme Barack Obama vient de le faire, est à la fois vrai et incorrect. Car une telle qualification ne fait que ramener toute l’étendue de l’amoralité, de la malveillance politique et de l’inconscience stratégique constante qui caractérise la réaction américaine aux attentats du 11/9 à une simple erreur de gestion.
« Le terrorisme est avant tout la peur du prochain attentat, » explique Arjun Appadurai dans “Fear of small numbers”. Pendant les années Bush, le terrorisme était couramment employé à des fins de contrôle social, de mobilisations militaires et électorales. Dans le même temps, les moyens administratifs qui auraient pu permettre d’empêcher la prochaine attaque faisaient cruellement défaut. En un mot comme en cent, la stratégie anti-terroriste de Bush n’était pas destinée à protéger les gens mais à les effrayer.
Afin de galvaniser la nation en prévision d’une guerre à l’étranger et d’endormir la population en prévision d’une répression à domicile, l’administration précédente a monté une menace terroriste qui était devenue omniprésente dans le temps, apocalyptique par son ampleur et imminente par nature. Ce n’est qu’à partir de là qu’ils ont pu opposer les droits de l’homme et la sécurité, comme s’ils étaient non seulement contradictoires mais mutuellement incompatibles.
Al Qaeda ne s’est pas fait prier. Dans un tel état de crise permanente, ce sont les terroristes et les réactionnaires qui prospèrent. Les terroristes arrivent à créer un climat de peur ; les gouvernements réussissent à exploiter cette peur et étendre leurs pouvoirs.
« Je suis absolument convaincu que la menace à laquelle nous sommes actuellement confrontée, celle d’un terroriste au milieu d’une ville avec une arme nucléaire, est très réel et que nous devons employer des mesures exceptionnelles pour la gérer, » a dit l’ancien vice-président Dick Cheney.
Le problème c’est que, même selon leurs propres critères douteux, aucune de ces « mesures exceptionnelles » n’a jamais marché. Aucune nouvelle loi n’était nécessaire pour empêcher le 11/9. Si les services d’immigration, le FBI et la CIA avaient fait correctement leur travail, les attaques auraient pu être évitées.
Néanmoins, au lendemain du 11/9, le gouvernement US s’est lancé dans la « détention préventive » d’environ 5000 hommes sur foi de leur lieu de naissance et a procédé ensuite à 19000 « interviews volontaires ». Au cours de l’année suivante, plus de 170.000 hommes de 24 pays à majorité musulmane et de la Corée du Nord ont eu leurs empreintes digitales relevées et ont été interrogés dans le cadre d’un programme « d’enregistrement spécial ». Il n’en est sorti pas une seule condamnation pour terrorisme.
Mais le pli était pris pour les années à venir : écoutes téléphoniques, enlèvements extraordinaires, tortures, opérations clandestines. Ceux qui d’habitude critiquent le gouvernement se sont mis à exiger plus de pouvoirs pour le gouvernement, même lorsque les résultats étaient pour ainsi dire nuls. Lorsqu’on les confrontait à ce résultat lamentable, leur seule réponse était la menace de la prochaine attaque. « La prochaine fois, la preuve pourrait survenir sous la forme d’un champignon nucléaire » a déclaré Condoleezza Rice, qui a ajouté : « Eux, il leur suffit de réussir une seule fois. Nous, nous sommes obligés de réussir à chaque fois. » Cette dernière semaine, même une réussite "de temps en temps" aurait été déjà pas mal.
Il n’y a pas grand-chose à défendre ici. La responsabilité pour Abdulmutallab revient à Obama. Il a été au pouvoir depuis plus longtemps que Bush lorsque ce dernier a reçu le rapport du FBI intitulé « Ben Laden est déterminé à attaquer les Etats-Unis sur leur territoire ». L’administration Bush était peut-être plus alarmiste et agressive, mais malgré ses tons rassurants, Obama n’a pas touché à l’appareil de répression que Bush a mis en place. Obama s’est exprimé en faveur de procès devant des commissions militaires pour les prisonniers de Guantanamo tandis que son chef de la CIA a exprimé sa volonté de maintenir les enlèvements extraordinaires. Pendant ce temps, les photos des tortures et les documents décrivant ces « interrogatoires poussés » restent sous scellés.
« Leon Panetta a été enrôlé de force par ceux qui ont mené la croisade en faveur de la mise en place du programme d’interrogatoires, » a déclaré un ancien officier de la CIA au Washington Post. Présenter la guerre en Afghanistan comme la ligne de front de la guerre contre le terrorisme est un bon exemple de délire. Al Qaeda est désormais plus présent au Pakistan, un pays allié des Etats-Unis, qu’en Afghanistan et la dernière menace est venue du Yémen. Le terrorisme est une stratégie, pas un lieu – les bombardements massifs et les occupations ou conquêtes échoueront, inévitablement.
Etant donné la nature du terrorisme, on peut prédire avec une macabre certitude qu’une autre attaque aura lieu. Avant le 11/9, il y a eu l’attentat d’Oklahoma City et avant cela un autre attentat au World Trade Center. Dans un pays où le fait de tirer sur des innocents dans une école, université, église ou café est un acte relativement courant, il va sans dire qu’un seul individu perturbé et armé, avec ou sans objectif précis, peut réaliser un bon petit carnage. Si plusieurs forment une équipe et ont des moyens, les dégâts peuvent être énormes. Tout ce que les autorités peuvent raisonnablement espérer, c’est de limiter les risques.
Les Etats-Unis ont fait le contraire. Grâce à la guerre et la torture, ils ont fait gonfler le nombre de personnes qui aimeraient leur faire du mal. On a beaucoup parlé de la radicalisation d’Abdulmutallab lors de son séjour à Londres. Mais il a bien fallu le radicaliser avec quelque chose. A Abou Ghraib, Haditha, Fallujah et ailleurs, les Etats-Unis ont fourni de nombreuses raisons.
Pendant ce temps, il apparait que dans les services de renseignement qui sont censés combattre le terrorisme, lorsqu’un terroriste potentiel attire l’attention, il est repéré par tous les radars. Et pourtant, étrangement, trop souvent, il arrive à passer inaperçu.
Alors au lieu de réduire le risque, les politiciens l’invoque. « S’il y a 1 % de chances que des scientifiques Pakistanais aident Al Qaeda à construire une arme nucléaire, » a déclaré Cheney un jour, « nous devons agir comme s’il s’agissait d’une certitude. Ce n’est pas une question d’analyse, mais de riposte. » Mais c’est justement parce que leurs analyses sont tellement fausses que leurs ripostes sont si inadaptées. Si les choses ne s’améliorent pas, il y a un gros risque que la campagne US contre le terrorisme se répète : d’abord comme une farce, ensuite comme une tragédie.
Gary Younge
8 janvier 2010
http://www.guardian.co.uk/global/20...
Traduction le Grand Soir