ic du pétrole de schiste : L’industrie américaine est-elle déjà en déclin ?


Par Justin Mikulka – Le 30 octobre 2018 – Source DeSmog

Fracking well sites from the air, in Jonah, Wyoming
Le champ gazier Jonah, au Wyoming, est marqué par un réseau de plateformes de forage, de routes et de pipelines. Crédit : Bruce Gordon, EcoFlight, CC BY 2.0

 

En 2016, la baisse des prix du pétrole a entraîné une baisse globale de la production des compagnies travaillant dans le schiste et utilisant le forage horizontal et la fracturation pour extraire le pétrole et le gaz des formations de schistes telles que les champs Marcellus et Permien. Il s’est agi de l’une des rares périodes financières relativement positives pour une industrie aux prises avec des coûts élevés et des rendements faibles (bien qu’elle ait quand même perdu de l’argent en 2016).


Mais l’industrie ne devrait pas se reposer sur ses lauriers, a averti Robert Clarke du groupe de recherche et de consultation de l’industrie énergétique Wood Mackenzie. Des fissures commencent déjà à apparaître dans les prévisions optimistes quant à la quantité que ces formations de schistes peuvent produire, ce qui est un mauvais signe pour redresser une situation financière déjà difficile de l’industrie.

« Seuls les meilleurs puits, avec les équipes les plus expérimentées, forant la meilleure roche aux coûts de service les plus bas se portaient bien en 2016 », a déclaré Clarke lors de la conférence annuelle 2018 de l’Energy Information Administration (EIA) en juin. « Si vous êtes producteur, c’est très dangereux de penser que c’est la nouvelle normalité. »

Mais les producteurs ont semblé penser que c’était la nouvelle normalité et se sont lancés dans la fracturation dans le bassin Permien, actuellement considérée comme la meilleure zone de pétrole de schiste argileux du pays.

Certes, les résultats ont été impressionnants du point de vue de la production. L’EIA s’attend à ce que « la production régionale du bassin Permien atteigne en moyenne 3,3 millions [barils par jour] en 2018 et 3,9 millions [barils par jour] en 2019 ». Ces chiffres pourraient atteindre 5,4 millions de barils par jour d’ici 2023, selon les consultants de l’industrie pétrolière IHS Markit.

Bien que la production pétrolière du Permien ait été prolifique, elle ne s’est pas traduite par des profits. « Pourquoi les producteurs de pétrole du Permien ne sont-ils pas rentables ? »a demandé oilprice.com dans un article sur cette industrie, en mai dernier.

Comme l’a démontré la série de DeSmog sur les finances de l’industrie de la fracturation hydraulique, il ne fait aucun doute que la fracturation peut mener à la production de grands volumes de pétrole léger, mais il en a coûté environ 250 milliards de dollars de plus que ce que l’industrie a gagné depuis 2007.

Le chef de la direction de la plus grande société de services pétroliers au monde lance un avertissement désastreux aux industries de la fracturation

En tant que plus grande société de services pétroliers au monde, Schlumberger a une connaissance intime de ce qu’il faut pour produire du pétrole en fracturant les nombreuses formations de schiste actuellement en cours de forage.

Son PDG, Paal Kibsgaard, a mis en garde les analystes de l’industrie lors d’une récente conférence téléphonique, sonnant comme l’avertissement de Clarke en juin.

« Le consensus bien établi du marché selon lequel le Permien peut continuer à fournir 1,5 million de barils par jour de croissance annuelle de la production dans un avenir prévisible commence à être remis en question », a déclaré M. Kibsgaard, selon le Financial Times.

La principale préoccupation de Kibsgaard concerne un phénomène connu sous le nom de « puits enfants », une situation que j’ai rapportée pour DeSmog en août.

Le concept est simple. Toutes les formations de schistes ne sont pas égales, ce qui signifie que pour faire de l’argent, les producteurs doivent trouver de la « bonne roche », ou ce que l’on appelle aussi dans l’industrie des « sweet spots » ou puits préférentiels.

 

Mais les zones préférentielles sont limitées. Et l’industrie creuse trop de « puits enfants » dans des endroits bien établis autour des « puits parents » qui produisent, dans l’espoir de tirer profit de cette « bonne roche ». Mais, comme je l’ai expliqué, l’approche ne fonctionne pas et, dans certains cas, elle coûte même plus cher à l’industrie en endommageant les puits existants dans ces zones favorables.

Mais cela soulève une question simple : Si l’industrie du schiste argileux dispose d’un approvisionnement suffisant en roches de qualité pour soutenir les prévisions optimistes de groupes comme IHS, pourquoi les entreprises font-elles plutôt creuser autant de « puits enfants » autour des quelques puits profitables plutôt que d’en forer d’autres, de nouveaux ?

Peut-être que l’industrie n’a pas d’autre bon puits et qu’elle essaie plutôt d’éviter la faillite imminente à cause de l’énorme dette qu’elle a contractée ?

M. Kibsgaard a expliqué sa vision sceptique de la production future du bassin Permien, affirmant que dans la zone de schistes d’Eagle Ford – où la production est bien en deçà de son maximum en 2015 – « jusqu’à environ 70 % de tous les nouveaux puits forés » sont des « puits enfants ». Cette tendance indique que les producteurs y sont à court de nouvelles « bonnes roches » et qu’ils essaient de tirer le maximum des endroits connus pour leur qualité.

Pendant ce temps, dans la section Midland Wolf Camp du bassin Permien, les « puits enfants » approchent déjà 50% des nouveaux puits forés, a dit Kibsgaard, et les résultats semblent suivre la même trajectoire que dans l’Eagle Ford.

« Nous commençons déjà à voir une réduction de la productivité des puits unitaires similaire à celle déjà observée dans l’Eagle Ford, ce qui suggère que le potentiel de croissance du Permien pourrait être plus faible que prévu », a averti M. Kibsgaard.

Tel est le message que le PDG de la plus grande société de services pétroliers adresse aux analystes financiers. Est-ce que quelqu’un va l’écouter ?

Certains PDG de l’industrie de la fracturation lancent des avertissements similaires

Schlumberger n’est pas exactement dans le domaine du forage pétrolier, mais soutient juste les entreprises qui en font. Il ne leur est donc pas nécessaire de présenter des projections optimistes pour l’avenir afin de maintenir l’engagement des investisseurs – comme ce pourrait être le cas pour des entreprises en difficulté qui sont lourdement endettées et incapables de réaliser des profits aux niveaux de production actuels. Les promesses de profits énormes à l’avenir sont vraiment la seule raison probable pour quiconque d’investir dans ces sociétés pratiquant la fracturation hydraulique.

Mais même certains PDG ne croient pas les prévisions optimistes pour le Permien. Dans l’excellent nouveau livre de Bethany McLean, Saudi America : La vérité au sujet de la fracturation hydraulique et comment cela va changer le monde, elle s’entretient avec deux des PDG qui ont eu du succès dans l’industrie – Bill Thomas et Mark Papa.

Bill Thomas, l’actuel PDG d’EOG (anciennement Enron Oil and Gas), l’une des rares sociétés à faire de l’argent, a dit à McLean que dans le Permien, la « très bonne roche » est plus faible que ce que disent les optimistes de l’industrie. Cela explique en partie l’augmentation du nombre de « puits enfants » où l’industrie tente de sur-forer les roches de qualité qui existent.

Thomas poursuit en expliquant à McLean : « Le Permien a terrifié le marché mondial du pétrole, mais les attentes du Permien sont exagérées ». « Terrifié » parce que si le Permien parvenait à produire 5,7 millions de barils par jour, il produirait un volume de pétrole supérieur à celui de tous les pays sauf les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie en 2017.

Les négociants et les producteurs de pétrole n’aiment pas être surpris et le fait d’avoir un nouvel approvisionnement en pétrole d’une telle ampleur n’est pas du tout à la hauteur de ces espérances. Mais comme l’avertit Thomas, ces craintes ne sont peut-être pas entièrement justifiées.

Mark Papa est l’ancien PDG d’EOG et dirige maintenant Centennial Resource Development. Papa a en fait livré son message moins qu’amusant lors de la conférence annuelle de l’industrie pétrolière, l’IHS Markit de 2018, connue sous le nom de CERAweek, mais apparemment ce n’était pas ce que le public voulait entendre.

« Il y a de bonnes zones géologiques dans les zones de schistes et des zones géologiques plus faibles, et beaucoup de bonnes zones géologiques ont déjà été forées », a expliquéPapa lors d’une discussion en groupe.

Dans son livre Saudi America, McLean rapporte que Papa avait dit que d’ici 2020, même dans le Permien, les meilleures zones auront été forées et qu’il prévoyait une baisse de production importante à venir.

Le temps presse pour les industriels de la fracturation qui s’endettent lourdement

Aux prix actuels du pétrole, la plupart des compagnies qui font de la fracturation perdent de l’argent tout en essayant d’obtenir jusqu’à la dernière goutte des meilleurs puits connus dans les zones de schiste argileux des États-Unis. Dans ces conditions, l’industrie a du mal à accepter que ce que Papa, Thomas et Kibsgaard disent puisse être vrai. Ces sociétés ne peuvent espérer rembourser leurs dettes massives si les meilleurs jours des grandes zones de schistes argileux sont passés ou approchent rapidement.

Alors, qui aura raison ? Depuis près d’une décennie, l’industrie de la fracturation promet que les profits sont juste à l’horizon, mais ils ne se sont pas matérialisés – pas même dans le scénario idéal de 2016 décrit par Clarke, de Wood Mackenzie.

L’industrie est-elle à court de bonnes roches ? Dans son livre, McLean cite un investisseur de l’industrie, dont les mots devraient faire peur à ceux qui investissent dans les sociétés de schistes ou qui détiennent des dettes pour ces sociétés.

« Nous estimons qu’il ne reste plus que cinq ans de stocks de forage », a déclaré un investisseur de premier plan à M. McLean, dont le livre a été publié en septembre 2018. « Si j’étais l’OPEP, je me moquerais des pétroles de schistes. Dans cinq ans, qui s’en souciera ? »

Justin Mikulka