On nous accuse de terrorisme Si nous prenons la défense D’une rose, d’une femme Et d’un infaillible poème D’une patrie qui n’a plus Ni eau ni air Ni tente ni chamelle Ni même de café noir.
On nous accuse de terrorisme Si nous avons le courage de défendre La chevelure noire de Balkis Les lèvres de Maysoun Hind, Daad Ou Loubna et Rabab Et une pluie de khôl noir Tombant de leurs cils comme une inspiration ! Vous ne trouverez pas chez moi De poème secret… De langage secret Ni de livre secret enfermé derrière portes closes Et je ne garde pas de poème Arpentant les rues, voilé par un hijab.
On nous accuse de terrorisme Quand nous écrivons sur les dépouilles de notre patrie Foulée, démembrée, déchiquetée Aux moignons dispersés Une patrie cherchant son nom Et un peuple innommé Une patrie qui a perdu ses anciens grands poèmes À l’exception de ceux de Khansa Une partie qui a perdu sa liberté rouge, bleue ou jaune Une patrie qui nous interdit D’acheter un journal D’écouter les informations Une patrie où les oiseaux sont interdits de pépiement Une patrie Dont les écrivains écrivent Sur le vent, par peur. Une patrie À l’image de notre poésie Faite de mots abandonnés Hors du temps Importés Avec une face et une langue étrangères… Sans début Ni fin Sans lien avec son peuple ou son pays Impasse de l’humanité Une patrie Allant aux négociations de paix Sans dignité Nu-pieds Et sans aucune dignité Une patrie Où les hommes pris de peur se sont pissés dessus Et où seules restent les femmes !
Le sel est dans nos yeux Le sel est sur nos lèvres Ou dans nos paroles La sécheresse de nos âmes L’avons-nous héritée des Beni Kahtane ? Il n'y a plus de Mouaouya dans notre nation Ni d’Abou Sufiane Plus personne pour dire « NON ! » À ceux qui ont bradé nos foyers, notre terre Et ont fait de notre histoire radieuse Un bazar ! Il n’est plus un seul poème dans notre vie Qui n’ait perdu sa virginité Dans le lit du Pouvoir Nous nous sommes accoutumés à l’ignominie Que reste-t-il donc d’un homme Lorsqu'il s'est habitué au déshonneur ? Je cherche dans le livre de l'histoire Oussama Ibn Munqidh Okba Ibn Nafi Je recherche Omar Je recherche Hamza Et Khalid chevauchant vers Damas Je recherche Al Mutasim Billah Sauvant les femmes De la barbarie des envahisseurs Et des furies des flammes Je recherche l’homme de la fin des temps Mais ne trouve que des chats effrayés dans le noir Craignant pour leur vie Menacée par le règne des souris. Sommes-nous atteints de cécité nationale ? Ou sommes-nous devenus daltoniens ?
On nous accuse de terrorisme Quand nous refusons la mort Sous les bulldozers d’Israël Qui dévastent notre terre, notre histoire, nos Évangiles Notre Coran Les reliques de nos prophètes Si c'est là notre crime Que le terrorisme est beau !
On nous accuse de terrorisme Si nous refusons notre extinction par les Mongols, les Juifs, les Barbares Si nous lançons des pierres Sur les vitres Du Conseil de Sécurité Aux mains des Tsars de notre temps On nous accuse de terrorisme Si nous refusons De tendre notre main à L’Amérique Ennemie des cultures humaines Elle-même sans culture, Ennemie des civilisations humaines Elle-même sans civilisation L'Amérique, bâtisse géante Sans murs.
On nous accuse de terrorisme Si nous refusons une époque où l’Amérique est devenue suffisante, riche, puissante Traductrice assermentée de l’hébreu. On nous accuse de terrorisme Si nous lançons une rose Vers Jérusalem Vers Al Khalil Vers Gaza Vers Nazareth Si nous livrons du pain et de l’eau Aux Troyens assiégés.
On nous accuse de terrorisme Si nous élevons la voix Contre les dominateurs qui veulent nous isoler Contre tous ceux qui ont changé de selle Et d’unionistes sont devenus laquais.
On nous accuse de terrorisme Si nous faisons profession de culture Si nous lisons un livre de juridiction ou de politique Si nous en appelons à notre Dieu Si nous la lisons la Sourate Al Fatah Et écoutons le prêche du Vendredi Nous commettons là un acte terroriste.
On nous accuse de terrorisme Si nous défendons notre pays Et la dignité de son sol Si nous nous révoltions contre l’extorsion de notre peuple Notre propre extorsion Si nous protégeons le dernier palmier de notre désert Et la dernière étoile de notre ciel Et les dernières lettres de nos noms Et la dernière goutte de lait du sein de notre mère Si tel est notre crime Que le terrorisme est magnifique !
Je suis un terroriste Si le terrorisme peut me préserver Des immigrants de Russie De Roumanie, de Hongrie, de Pologne Qui se sont installés en Palestine sur notre dos Pour voler les minarets de Jérusalem La porte d’Al Aqsa Ses ors et ses dômes.
Je suis pour le terrorisme Si nous pouvons libérer le Christ La Vierge Marie et la Ville sainte Des émissaires de mort et de dévastation Hier la route nationale traversait nos terres Triomphante comme un pur-sang arabe Et nos parcs étaient des rivières coulant avec vigueur et fierté Après Oslo Nous avons perdu nos dents Et sommes devenus un peuple frappé de surdité et de cécité.
Je suis pour le terrorisme Si cela peut me préserver des Tsars juifs Et des Césars romains.
Je suis pour le terrorisme Tant que ce nouveau monde Sera également divisé entre Amérique et Israël.
Je suis pour le terrorisme Tant que ce nouveau monde Nous classera comme loups
Je suis pour le terrorisme Tant que le Congrès américain Fera la loi Et décidera des récompenses et des châtiments.
Je suis pour le terrorisme Tant que ce nouveau monde Détestera profondément L’odeur des Arabes.
Je suis pour le terrorisme Tant que ce nouveau monde Massacrera mes bébés Et les jettera aux chiens.
Pour tout cela Je veux crier haut et fort Je suis pour le terrorisme Je suis pour le terrorisme Je suis pour le terrorisme.
Nizar Qabbani
Traduit par Fausto Giudice
• Note du traducteur à l’usage des lecteurs ignorants des références arabo-musulmanes
Balkis : c’est le nom arabe de la Reine de Saba, dont la rencontre avec Salomon (Souleyman) est relatée dans la Sourate 27 (An Naml, Les Fourmis) du Coran). C'est aussi le prénom de la seconde épouse du poète (voir ci-dessous). Maysoun, Hind, Daad, Loubna et Rabab : prénoms féminins évoquant la beauté Khansa : « la gazelle », surnom de Tumadir Bent Amr (575-646), poétesse antéislamique célèbre pour les élégies à ses frères Sakhr et Mouaouya. Rouge, bleu et jaune : le rouge est le feu, chaud et sec, le bleu la terre, froide et sèche et le jaune l’air, chaud et humide. Le rouge symbolise Mars, le bleu Mercure, le vert la Lune. Beni Kahtane : fils de Kahtane, tribu originelle des Arabes,apparue après le déluge et vivant dans le Hijaz. Mouaouya Ibn Abi Sufiane (603-680) : fils de l'un des plus farouches adversaires du prophète Mohamed : Abou Sufiane Ibn Harb. Il est le premier ommeyyade à porter le titre de calife en 661. Il prend ce titre à Ali à la suite d'un abritrage entre Ali et lui après la bataille de Siffin. Les Ommeyyade tirent leur nom d’Omayya, grand-oncle du prophète Mohamed. Ils appartenaient à la tribu des Quraychites, tribu dominante à La Mecque au temps du prophète. Après s'être opposés à celui-ci, ils l'avaient rejoint au dernier moment. Oussama Ibn Munqidh : prince syrien, né en 1095 à Chayzar sur l’Oronte et mort à Damas en 1188. Auteur d’une autobiographie, L’Itibar, « L’expérience », dans laquelle il relate ses rapports avec les Francs : « Quand on est au fait de ce qui touche aux Francs on ne peut qu’exalter et sanctifier le Très Haut, car on voit en eux des bêtes qui ont la vertu du courage et de l’ardeur guerrière ». Oqba Ibn Nafaa (ou Nafi) : conquérant arabe du Maghreb oriental, ce Quraychite défait les troupes de l'exarque byzantin Grégoire en 647 à Sbeïtla et devient gouverneur de l'Ifriqiya en 663. Il a édifié la Grande mosquée de Kairouan dans l'actuelle Tunisie. Omar Ibn Khattab : Quraychite, second calife de l’Islam après Abou Bakr. Hamza Ibn Abdul Muttalib : oncle de Mohamed, avec lequel il a été élevé. L’un des premiers convertis à l’Islam, sa bravoure au combat lui valut les surnoms de « lion d'Allah » et de « lion du ciel ». Khalid Ibn Al Walid (584 – 642), aussi appelé Abou Souleyman, surnommé « l’épée d’Allah », un Quraychite, fut le principal général de Mohamed après sa conversion. Il participa après la mort du Prophète à la reconquête de la péninsule arabique et est le commandant des armées arabes lors des conquêtes de l'Irak et de l'empire byzantin (bataille de Yarmouk). Sur plus de cent batailles qu’il commanda, il n’en perdit aucune. Al Mutasim Billah : (794-842) : troisième fils de Haroun Al Rachid, « huitième calife Abbasside qui remporta huit batailles, qui eut huit enfants mâles et huit filles, qui laissa à sa mort huit milles esclaves et qui a régné huit années huit mois et huit jours » (Jorge Luis Borges, Fictions).
• Nizar Qabbani (1923-1998), né en Syrie en 1923, est l’un des poètes arabes les plus populaires du XXème siècle. Il a, dans une cinquantaine de recueils, renouvelé la poésie arabe par ses textes érotiques et antiautoritaires souvent mis en musique et chantés. Il fait irruption en 1954 avec un premier volume « Enfance d’une poitrine », qui rompt avec le conservatisme ambiant. Très marqué par le suicide de sa sœur, qui refusa d’épouser un homme qu’elle n’aimait pas, il deviendra un poète féministe, écrivant souvent du point de vue d’une femme. Vivant à Londres depuis 1967, il y fonde une maison d’édition après la défaite arabe de 1967. Mais il reste attaché à Damas, sa ville natale, dont il chante le « parfum de Jasmin ». Et il sera diplomate pendant trente ans, représentant son pays. Au fil des années, sa poésie deviendra de plus en plus politique et contestatrice. Un vers de lui est célèbre : « Oh Sultan, mon maître, si mes vêtements sont déchirés et en lambeaux, c’est parce que tes chiens ont la permission de me mettre en pièces. » Une tragédie a endeuillé la dernière partie de sa vie : sa seconde épouse Balkis Arrawi, une enseignante irakienne, fut victime à Beyrouth d’un attentat à la bombe attribué à un groupe pro-iranien. Nizar Qabbani est mort à Londres en 1998.
Original : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2373&lg=ar Traduit de la version anglaise d’Adib S. Kawar par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs. URL de cet article : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2377&lg=fr
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