samah jabr — vacances à gaza
Vacances à Gaza
A peine avait-il montré son passeport palestinien aux fonctionnaires de
l'aéroport du Caire qu'on lui demanda alors d'attendre sur le côté. Il expliqua
qu'il était autorisé à entrer en Egypte, mais les fonctionnaires n'en tinrent
pas compte et insistèrent pour qu'il attende à proximité, sans son passeport et
sans ses bagages ; il n'avait aucune possibilité d'acheter une carte
téléphonique pour se mettre en rapport avec ceux qui étaient responsables du
déroulement de son voyage.
Trois heures se sont écoulées et Hassan était toujours à attendre.
Finalement, alors qu'il ne restait plus personne dans l'aéroport, un
fonctionnaire qui passait par là le remarqua et demanda ce qu'il attendait.
Après qu'Hassan eut répondu, il fut conduit dans une pièce disposant de quelques
chaises où dix autres Palestiniens attendaient leur transfert à l'entrée de
Rafah le matin suivant. Il y avait là un homme avec deux enfants — un de 4 et
l'autre de 5 ans — qui s'étaient endormis sur le sol et que leur père réveillait
chaque fois qu'il était appelé pour un interrogatoire ; ceci fit Hassan se
sentir moins à plaindre que ses compagnons.
Durant la nuit un rapport d'interrogatoire fut rédigé pour chacun d'entre eux et
on leur demanda de payer une livre égyptienne pour chacune des copies. Comme les voyageurs protestaient, un fonctionnaire de rang plus élevé appartenant à la
sécurité d'état arriva en hurlant : « les Palestiniens sont comme des valises,
il faut appuyer dessus pour que leurs bouches restent fermées. »
Le matin qui suit, un bus est venu les chercher, eux et 15 autres personnes
venant de l'autre bâtiment de l'aéroport, pour les amener à Abbasseyah où ils
furent transférés dans un autre bus qui devait les emporter jusqu'à Rafah après
un voyage de six heures ; ils étaient accompagnés de policiers qui se vantaient
du privilège qu'ils accordaient à ces Gazaouites en ne les couvrant pas de
chaînes tout au long du voyage. Non seulement le bus avait été affrété aux frais
de ces misérables passagers, mais encore fallait-il que ceux-ci règlent tout ce
que les soldats mangeaient ou buvaient.
Mais apparemment ce n'était pas le seul profit que ces soldats gagnaient en
accompagnant ces Palestiniens. Lors d'un arrêt, les passagers refusèrent de
manger dans une cafétaria dont le nom était Teiba sur la route d'Ismaeliah et
qui était proposée avec insistance par les hommes de la sécurité. Le
propriétaire finit par sortir en hurlant : « J'ai payé 10000 livres pour que ces
passagers viennent manger ici ! »
Même les petites épiceries qui vendaient des boissons et des cigarettes
faisaient exploser leurs prix pour pouvoir dévaliser ces passagers et en tirer
bénéfice et profit.
Mais, ajouta Hassan, « tous les Egyptiens ne sont pas comme cela. Il y en a qui
vendraient leur dernière vache pour aider les Palestiniens. »
Comme ils arrivaient à l'entrée de Rafah, ils virent un signe de mauvaise augure
: il n'y avait aucun passager qui en sortait. Ils apprirent alors que le passage
était bouclé et qu'ils devaient se préparer à compter les jours jusqu'à son
ouverture. En effet, le passage avait été fermé après l'opération de la
résistance à Karm Abu Salem.
Hassan se joignit aux 220 Palestiniens : des étudiants, des commerçants, des
malades qui étaient en Egypte pour suivre un traitement médical, tous attendant
que la passage ouvre pour retourner chez eux et retrouver leurs proches.
Quelques associations charitables égyptiennes et des groupes de solidarité,
familiers avec ce qui se passait au poste frontière, prirent l'initiative
d'approvisionner en nourriture et en couvertures les passagers bloqués à la
porte de chez eux. Des militants égyptiens lancèrent aussi un appel à pétition
destiné aux fonctionnaires européens responsables de l'entrée de Rafah.
Quelques jours passèrent sans aucun signe positif ou une quelconque nouvelle
permettant de savoir au bout de combien de temps cette situation pénible pouvait
prendre fin. Les nouvelles d'une opération de vengeance menée par les troupes
israéliennes dans Gaza monopolisaient l'attention des médias, et peu de choses,
si cela advenait, était mentionné dans les informations concernant les gens
bloqués à l'entrée, bien que quelques personnes revenant de voyage pour raisons
thérapeutiques ne pouvaient supporter de devoir y passer leur convalescence ;
ils quittèrent alors cette vie pour toujours.
Un homme d'âge moyen eut plusieurs alertes cardiaques sévères avant que le côté
égyptien n'accepte d'organiser son transfert vers l'hôpital le plus proche pour
y faire des contrôles. L'ambulance arriva au bout de cinq heures et l'homme fut
enchaîné avant d'être autorisé à partir.
Un autre voyageur était régulièrement appelé et totalement fouillé, et tout ce
qui lui appartenait était saisi et soumis à une fouille minutieuse.
Le père des deux garçons qui maintenant souffraient d'incontinence urinaire
passa ses « vacances » dans les toilettes, nettoyant avec le peu de moyens à sa
disposition les vêtements de ses deux fils. A la fin de la semaine, Hassan
commença à rêver de l'ouverture de la frontière. Le 7 juillet, Nabeel Sah'ath
voulu négocier avec les israéliens et les européens l'ouverture du passage pour
quelques heures pour permettre aux cas « humanitaires » de passer. Ses efforts
ont été vains et le passage est resté bloqué.
Durant cette période neuf personnes sont mortes à l'entrée alors qu'elles
attendaient de pouvoir rentrer chez elles et dans leurs familles.
Le début de la guerre israélienne contre le Liban le 12 juillet fit disparaître
tout espoir d'une solution pour deux jours supplémentaires, jusqu'au 14 juillet
où des hommes armés ont fait exploser une section du mur de séparation et ont
envahi le côté égyptien pour permettre aux gens de passer.
Hassan était en pyjama mais avec les autres voyageurs il se précipita pour
traverser la frontière à travers le mur avant que l'armée israélienne ne
s'aperçoive de quelque chose et ne commence à tirer. Portant ses bagages et ne
faisant nulle attention à ce qu'il laissait derrière lui, il courut pendant près
de deux kilomètres jusqu'à ce qu'il trouve une voiture qui le conduise chez lui.
Hassan passa des vacances difficiles avec de fréquentes coupures d'eau et
d'électricité suite au bombardement israélien contre la principale centrale
électrique de Gaza ; mais il était heureux d'être avec sa famille et ses
enfants.
Au début de septembre, Hassan était dans l'obligation de retourner à Paris. Afin
de ne pas rater le jour où il devait passer la frontière de façon à prendre son
avion, Hassan se présenta à l'entrée à partir de minuit, attendant son ouverture
le matin suivant, mais ils étaient déjà des centaines à attendre avant lui.
Pour pouvoir passer la frontière, vous devez vous trouver dans un bus ; mais les
bus à l'entrée étaient déjà pleins avant d'avoir même ouvert leurs portes. Des
gens jeunes et pleins d'énergie entraient par les fenêtres. Hassan n'était ni
jeune ni plein d'énergie. Il ne réussit à monter dans aucun des huit premiers
bus dont le passage était autorisé ce jour-là. Il demanda le secours de ses
cousins qui l'aidèrent à monter dans le neuvième bus, comme d'autres par la
fenêtre, mais il dû encore passer une nuit à la frontière. Pour une quelconque
raison, il quitta un moment le bus mais pour découvrir ensuite que sa place
avait disparue. Les cousins aidèrent à nouveau Hassan, mais cette fois-ci il ne
réussit qu'à monter sur le toit du bus car il ne restait pas la moindre place à
l'intérieur.
Hassan me disait avoir vu en Août une photo d'un bus du même genre à la première
page d'un journal local et avoir pensé par lui-même que ces gens qui prenaient
le bus étaient fous. Il ne soupçonnait pas qu'il se verrait lui-même faisant la
même chose contre son gré peu de temps après.
Quand Hassan parvint finalement de l'autre côté du mur, le bus qu'il avait pris
vida ses passagers dans cinq autres bus. Hassan avait alors déjà manqué son
avion pour Paris, mais il était en dehors de Gaza où la vie continue à être
autant confinée que dans le bus qu'il prit pour en sortir.
Samah Jabr
Samah Jabr est médecin et réside depuis de nombreuses années à Jérusalem [Al
Qods]
Décembre 2006 - Palestine Times
Traduction : Claude Zurbach
Article imprimé à partir du site de la Campagne Civile Internationale Pour la
Protection du Peuple Palestinien
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