Arthur Rimbaud — Le Forgeron
Le Forgeron Citoyen ! citoyen ! c'était le passé sombre Qui croulait, qui râlait, quand nous prîmes la tour ! Nous avions quelque chose au coeur comme l'amour. Nous avions embrassé nos fils sur nos poitrines. Et, comme des chevaux, en soufflant des narines Nous allions, fiers et forts, et ça nous battait là... Nous marchions au soleil, front haut, comme cela, Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales. Enfin ! Nous nous sentions Hommes ! Nous étions pâles, Sire, nous étions saouls de terribles espoirs : Et quand nous fûmes là, devant les donjons noirs, Agitant nos clairons et nos feuilles de chêne, Les piques à la main ; nous n'eûmes pas de haine, Nous nous sentions si forts, nous voulions être doux ! Et depuis ce jour-là, nous sommes comme fous ! Le tas des ouvriers a monté dans la rue, Et ces maudits s'en vont, foule toujours accrue De sombres revenants, aux portes des richards. Moi, je cours avec eux assommer les mouchards : Et je vais dans Paris, noir, marteau sur l'épaule, Farouche, à chaque coin balayant quelque drôle, Et, si tu me riais au nez, je te tuerais ! |
Mais voilà, c'est toujours la même vieille histoire ! Mais je sais, maintenant ! Moi, je ne peux plus croire, Quand j'ai deux bonnes mains, mon front et mon marteau, Qu'un homme vienne là, dague sur le manteau, Et me dise: Mon gars, ensemence ma terre; Que l'on arrive encor, quand ce serait la guerre, Me prendre mon garçon comme cela, chez moi ! Moi, je serais un homme, et toi, tu serais roi, Tu me dirais: Je veux !... Tu vois bien, c'est stupide. Tu crois que j'aime voir ta baraque splendide, Tes officiers dorés, tes mille chenapans, Tes palsembleu bâtards tournant comme des paons: Ils ont rempli ton nid de l'odeur de nos filles Et de petits billets pour nous mettre aux Bastilles, Et nous dirons : C'est bien: les pauvres à genoux ! Nous dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous ! Et tu te saouleras, tu feras belle fête. Et ces Messieurs riront, les reins sur notre tête ! Non. Ces saletés-là datent de nos papas ! Oh ! Le Peuple n'est plus une putain. Trois pas Et, tous, nous avons mis ta Bastille en poussière. Cette bête suait du sang à chaque pierre Et c'était dégoûtant, la Bastille debout Avec ses murs lépreux qui nous racontaient tout Et, toujours, nous tenaient enfermés dans leur ombre | |
Puis, tu peux y compter, tu te feras des frais Avec tes hommes noirs, qui prennent nos requêtes Pour se les renvoyer comme sur des raquettes Et, tout bas, les malins ! se disent : Qu'ils sont sots ! Pour mitonner des lois, coller de petits pots Pleins de jolis décrets roses et de droguailles, S'amuser à couper proprement quelques tailles, Puis se boucher le nez quand nous marchons près d'eux, Nos doux représentants qui nous trouvent crasseux! Pour ne rien redouter, rien, que les baïonnettes.... C'est très bien. Foin de leur tabatière à sornettes ! Nous en avons assez, là, de ces cerveaux plats Et de ces ventres-dieux. Ah ! ce sont là les plats Que tu nous sers, bourgeois, quand nous sommes féroces, Quand nous brisons déjà les sceptres et les crosses !... Il le prend par le bras, arrache le velours Des rideaux, et lui montre en bas les larges cours Où fourmille, où fourmille, où se lève la foule, La foule épouvantable avec des bruits de houle, Hurlant comme une chienne, hurlant comme une mer, Avec ses bâtons forts et ses piques de fer, Ses tambours, ses grands cris de balles et de bouges, Tas sombre de haillons saignant de bonnets rouges: L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout Au roi pâle et suant qui chancelle debout, Malade à regarder cela ! |
Oh ! mais l'air est tout plein d'une odeur de bataille ! Arthur Rimbaud |
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