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avnery et pappe — deux états ou un état

Débat le 8 mai 2006 entre Uri Avnery et Ilan Pappe à la maison du mouvement Kibboutz à Tel Aviv sur le thème "Deux États ou un État"

 

Le débat sur "deux États ou un État" entre Uri Avnery et Ilan Pappe a suscité un intérêt considérable avant même qu’il ait lieu le 8 mai 2007. Les positions des deux "gladiateurs" étaient connues. C’est Teddy Katz qui a eu l’idée de les inviter à débattre devant un public, à la suite de la polémique qu’ils avaient engagée sur internet.

En réalité, cela fait plusieurs années que cette question fait l’objet de débats dans toutes sortes de rencontres informelles, mais Gush Shalom a donné un éclat particulier à l’affaire en louant le grand hall de la Maison du Mouvement Kibboutz à Tel Aviv et en mettant Ilan Pappe au défi d’y débattre avec Uri Avnery…

C’est Ilan Pappe qui prit la parole en premier devant une salle comble. Ce qu’il nous a dit au sujet du nettoyage ethnique qui a eu lieu en 1948 aurait produit un plus grand choc si nous n’avions pas été déjà avertis de ces faits – et en premier lieu par les révélations des "nouveaux historiens", dont Ilan Pappe lui-même fait partie. La chose la plus remarquable réside dans les conclusions que le pédagogue / militant Ilan Pappe tire des crimes qui furent commis lors de la naissance de l’État d’Israël. Pour Pappe, 1948 n’est pas une histoire arrêtée dont on peut seulement faire le récit, sans pouvoir y changer quoi que ce soit. Son point de vue est fondé sur la réparation des torts de 1948.

Pour Uri Avnery, les résultats de 1948 sont pour la plupart irréversibles, mais il veut réparer les torts de 1967 – par une solution qui conduirait à deux États et à un accord de paix, et il est convaincu en dépit de tous les retards que c’est vers cela que nous allons. Ilan Pappe, cependant, considère le mouvement actuel de colonisation comme… irréversible et ne croit plus qu’une solution juste soit possible avec deux États.

Vivant à une époque où Israël est comme un bateau bourré d’explosifs navigant sans capitaine entre des falaises, il était vraiment rafraîchissant d’entendre ces deux hommes exposer leurs pensées – la pensée forte, sans compromis de Pappe et la rationalité très particulière de Uri Avnery ("Il n’est pas rationnel d’ignorer les motivations irrationnelles qui influencent le comportement des gens").

 

Exposé introductif d’Ilan Pappe

Le sionisme est né de deux désirs logiques et justifiés. Le premier était le désir de trouver un rivage sûr pour les Juifs d’Europe de l’Est et d’Europe Centrale, après des décennies de persécutions antisémites – et peut-être aussi en prémonition du pire qui allait arriver. La seconde consistait à redéfinir la religion juive comme un mouvement national, dans la mouvance du "Printemps des Peuples" au milieu du 19e siècle.

Lorsque les leaders du mouvement ont décidé, pour des raisons que nous ne pouvons pas exposer ici, que le seul territoire où ces deux désirs pouvaient se réaliser était la Palestine, où près d’un million de personnes vivaient déjà, ce mouvement est devenu un projet colonial.

Ce projet colonial a pris sa forme définitive après la Première guerre mondiale. Malgré la protection d’une large couverture impériale – sous la forme du mandat britannique, ce ne fut pas une réussite en matière de projet colonial. Les colons réussirent à s’approprier seulement un petit 6% de la patrie palestinienne et à représenter seulement un tiers de la population du pays.

 

La tragédie de la population indigène palestinienne n’a pas tenu seulement au fait qu’elle était victime d’un mouvement colonial – mais précisément au fait qu’elle était victime d’un mouvement colonial qui cherchait à créer une société démocratique. Face à l’évidente majorité palestinienne, onze leaders sionistes n’ont pas hésité en mars 1948 à recourir au nettoyage ethnique comme le meilleur moyen – compte tenu des échecs du colonialisme sioniste – de créer une démocratie juive, ethniquement pure, sur la majeure partie du territoire de la Palestine.

En moins d’une année après cette prise de décision historique, le nettoyage ethnique a été effectué – ce qu’aujourd’hui la communauté internationale n’aurait pas hésité à qualifier de crime contre l’humanité. Systématiquement, de village en village et de ville en ville, les forces juives passaient et "nettoyaient" la région de sa population indigène. Elles laissaient destruction et ruine dans leur sillage : plus de 500 villages et de 11 villes dévastés. La moitié des villes et des villages de Palestine furent évacués par la force et la moitié de la population du pays (80% de la population de ce qui allait devenir l’état juif) furent arrachés à leurs maisons, leurs champs et privés de leurs moyens d’existence. Ce crime reçut l’approbation rétroactive de la communauté internationale et est demeuré un moyen légitime dans les mains de l’État juif, à l’époque comme aujourd’hui, pour assurer l’existence d’une démocratie juive sur le sol du pays. L’obtention et le maintien d’une majorité démographique sont devenus un objectif sacré et aussi le fondement d’une solution au conflit par la création de deux États. La communauté internationale et aussi le camp de la paix israélien se sont efforcés de limiter le territoire où le nettoyage ethnique et la pureté juive prévaudraient. Le minotaure sioniste exigeait – et s’appropriait par la force – 80% de la Palestine. Mais cela ne lui suffisait pas : quand une occasion historique se présenta de satisfaire non seulement sa faim démographique mais aussi ses appétits territoriaux, il engloutit la totalité du territoire palestinien.

Cependant, même lorsque l’ensemble du pays fut englouti, l’Israël officiel tenta aussi de préserver l’idée de démocratie sioniste. C’est ainsi que sont apparues des formules telles que "de la terre en échange de la paix" et "deux États pour deux peuples". Cela ne constituait pas des recettes pour la paix et la justice pour les deux peuples, mais c’était des tentatives de limitation du mouvement expansionniste qui cherchait à s’approprier davantage de territoire sans la population arabe qui y vivait.

Il y a ceux qui, de 1967 à nos jours, pensent qu’il est possible de satisfaire cet appétit de coloniser et de créer des colonies, de déposséder et d’imposer sa loi et de rester une démocratie par la création d’un État palestinien sur 20% du territoire. Pendant une courte période historique, aux premières années de l’occupation, cela aurait peut-être été possible. Mais déjà dans les années 70, la situation s’était compliquée et les "situations de fait" au plan de la colonisation juive ne rendaient plus possible la limitation souhaitée.

Une décennie plus tard, dans les années 80, la solution à deux États avait aussi opéré une métamorphose devant une réalité changeante. Le camp de la paix sioniste a cherché à accroître le nombre des partisans de l’idée de limitation tout en acceptant les colonies déjà créées ; Celles-ci réduisaient ainsi sciemment le territoire de l’État prévu pour les Palestiniens. Plus ce territoire se réduisait, plus une formule à deux Etats se révélait incompatible avec une solution du conflit juste, complète et viable. Au siècle présent, plus la formule à deux États était communément admise et plus le nombre de ses partisans s’accroissait – et parmi eux on pouvait compter des gens comme Ariel Sharon, Benjamin Netanyahu, Georges W. Bush et d’autres – plus la limitation s’est transformée en occupation. Lorsque la communauté internationale prit parti pour deux États, le dispositif d’occupation tira un double bénéfice de cette nouvelle réalité.

D’un côté, à l’abri d’un "processus de paix", la colonisation s’est développée et enracinée, la tyrannie et l’oppression sont devenues plus dures – en l’absence de critiques ou de sanctions internationales. D’un autre côté, la création de "faits accomplis" réduisait davantage le territoire qui échappait en principe à l’appétit du minotaure sioniste. Sous l’idée de deux États comme formule diplomatique internationale, il était en général admis que l’appétit sioniste pour la moitié de la Cisjordanie pourrait être satisfait. Plus tard, la formule de deux États a inévitablement entraîné le soutien international à l’enfermement de toute la bande de Gaza dans un camp de concentration moderne.

Le statut exclusif accordé, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, à la formule de deux États a d’une part donné la possibilité au pouvoir israélien de transformer une forme d’occupation en une autre forme dans le but de faire taire les condamnation éventuelles de ses crimes de guerre – et d’autre part il a permis au dispositif israélien d’occupation de créer sur le terrain des "faits accomplis" transformant l’idée d’État palestinien en Château en Espagne.

 

Regardez l’affaire sous l’angle que vous voulez. Si la justice devait être le critère de division du pays, il ne peut pas y avoir de formule plus cynique que celle à deux États : à l’occupant et à l’accapareur 80% ; à l’occupé, 20% dans le meilleur des cas, un cas probablement utopique, et plus vraisemblablement 10% morcelés et dispersés. En outre : le retour des réfugiés, où se fera-t-il ? où sera-t-il réalisé ? Au nom de la justice, les réfugiés ont le droit de décider de leur possibilité de retour, et ils ont le droit de participer à la définition de l’avenir du pays tout entier, pas seulement de 20%.

D’autre part, si le pragmatisme et la "real politic" sont les principes qui vous guident, et que tout ce que vous cherchez est la satisfaction de l’appétit de l’État sioniste pour des territoires et pour une supériorité démographique, transférons alors Wadi Ara à la Cisjordanie et Hébron à Israël et faisons confiance à l’équilibre des forces au plan mondial et au plan régional et ne concédons aux Palestiniens qu’un petite portion de territoire, hermétiquement close de haies, de murs et de barrières.

 

Oui, il y a des Palestiniens à Nazareth et à Ramallah qui accepteraient même d’y donner leur accord, et ils méritent d’être entendus. Mais cela ne suffit pas, nous ne devons pas étouffer les voix de la majorité Palestinienne des camps de réfugiés, de la diaspora, ni celle des exilés, ni celle des réfugiés de l’intérieur d’Israël ou des territoires occupés ; ils veulent être partie prenante à l’avenir d’un pays qui a été le leur. Il n’y aura ici ni réconciliation ni justice si ces Palestiniens ne sont pas associés à la définition de la souveraineté, de l’identité et de l’avenir du pays tout entier. La réconciliation sera obtenue en reconnaissant aussi aux Juifs qui se sont installés ici par la force le droit de contribuer de la même façon à définir l’avenir du pays.

Donnons aux réfugiés leur part et respectons leurs aspirations à être nos partenaires dans un même État. Vérifions la faisabilité de cette idée et la praticabilité du chemin pour la réaliser – car cela fait 60 ans que nous avons vérifié la faisabilité de l’idée de deux États et nous en voyons clairement le résultat : la poursuite de l’exil, de l’occupation, de la discrimination et de l’expropriation.

C’est une erreur de proposer des constitutions démocratiques pour Beit Safafa ouest, pour Bak’ah Al-Garbiya et pour Arabeh est – alors que dans le même temps vous rejetez toute responsabilité pour Beit Safafa est, pour Bak’ah Al-Sharkiya et pour Arabeh ouest et que vous dites : ils seront là, derrière le mur, opprimés, sans accès à la terre, sans droits ni ressources. En tant que citoyens juifs et palestiniens de cet État, nous avons des relations de sang, de communauté de destin et de communauté de malheur qui ne peuvent être "partitionnées". Une telle division n’est ni morale ni pratique.

 

Nos élites politiques sont au mieux incompétentes et au pire corrompues pour tout ce qui a trait au conflit dans ce pays. Ceux qui les fréquentent dans les pays voisins et dans le monde au-delà ne valent pas mieux. Lorsque ces élites se font passer pour la société civile et lancent la chimère de Genève, la situation ne fait qu’empirer et les perspectives de paix s’éloignent encore un peu plus. Proposons une alternative de dialogue entre les anciens et les nouveaux colons – même ceux qui sont arrivés hier – les expulsés – de toutes les générations – et les gens qui sont restés. Demandons quelle structure politique nous convient – une structure qui implique et comporte les principes de justice, de réconciliation et de coexistence. Offrons leur au moins un autre modèle que celui qui a échoué. Á Bil’in nous avons lutté épaule contre épaule contre l’occupation – nous pouvons aussi vivre ensemble. Qui préférerions nous avoir pour voisin, les colons de Mattityahu Mizrah ou les villageois de Na’alin ?

Et, pour que ce dialogue s’ouvre et se développe, reconnaissons qu’en dépit de tous nos efforts, nous ne pouvons ici avec nos seules forces mettre un terme à l’intensification permanente de l’occupation. Parce que l’occupation procède de la même idéologie qui était à la base du nettoyage ethnique de 1948, à cause de laquelle l’armée a massacré les habitants de Kafr Qassem, qui a justifié la confiscation des terres de Galilée, de Cisjordanie et de la bande de Gaza ; c’est en son nom que tous les jours on emprisonne et on tue sans jugement. Les manifestations les plus meurtrières de cette idéologie ont lieu actuellement dans les territoires occupés. Elles devraient et doivent cesser au plus tôt. Dans ce but, aucun moyen qui n’a pas encore été essayé ne doit être rejeté. Il faut tenir compte des appels de la société civile palestinienne pour imposer des boycotts et des sanctions. Il faut reconnaître la sincérité des pressions morales exercées par des associations de journalistes, des intellectuels et des médecins partout dans le monde pour que l’on rompe les relations avec l’administration israélienne et ses représentants, tant que les crimes continuent à se commettre. Donnons à cette voie non violente une chance de mettre fin à l’occupation. Ici et là-bas, nous appellerons à sanctionner un gouvernement et un État qui continuent à commettre de tels crimes ; Juifs et non Juifs, nous serons exempts de toute souillure d’antisémitisme dont on nous accuse injustement. De tout point de vue possible – socialiste, libéral, juif ou bouddhiste – une personne honnête ne peut qu’appeler au boycott d’un régime et d’un gouvernement qui depuis quarante ans déjà maltraitent une population civile pour la simple raison qu’elle est arabe. Et des Juifs honnêtes doivent faire entendre leur voix plus fort que les autres pour appeler à l’action et à l’effort.

Que l’Afrique du Sud soit ou non la source et l’inspiration pour la formule d’un seul État et pour un boycott international moralement justifié, on ne peut accepter que cette solution et cette perspective ne fasse pas l’objet d’un examen sérieux, pour le simple fait qu’on reste attaché à une formule qui a échoué et qui a depuis longtemps conduit à la catastrophe.

 

(d’après les notes d’Ilan Pappe pour son exposé introductif – Traduit de l'hébreu en anglais par Adam Keller de Gush Shalom et de l'anglais en français par Fred Lucas)

 

Exposé introductif d’ Uri Avnery

Un seul État : solution ou utopie

NOUS NE livrons pas ici un duel à mort entre gladiateurs dans une arène romaine. Ilan Pappe et moi sommes associés dans le combat contre l’occupation. Je respecte son courage. Nous sommes côte à côte dans un combat commun, mais nous défendons deux objectifs nettement opposés.

SUR QUOI sommes-nous en désaccord ?

Nous n’avons aucun désaccord à propos du passé. Nous sommes d’accord sur le fait que le sionisme, qui a imprimé sa marque sur l’histoire et qui a créé l’Etat d’Israël, a aussi apporté une injustice historique au peuple palestinien. L’occupation constitue une situation abominable, on doit y mettre un terme. Le débat n’est pas là.

Peut-être n’avons nous aucun désaccord non plus sur l'avenir lointain, à propos de ce qui devrait se produire dans une centaine d’années. Nous aborderons cela plus tard dans la soirée. Mais nous sommes en profond désaccord pour ce qui concerne l'avenir prévisible – la solution au conflit sanglant pour les prochaines 20, 30, 50 années.

Il ne s’agit pas d’un débat théorique. Nous ne pouvons pas dire, pour reprendre l’expression hébraïque : «Puisse chaque homme vivre selon sa propre foi », et que la paix règne dans le mouvement de la paix. Entre les deux propositions, il ne saurait y avoir de compromis – nous devons décider, nous devons choisir parce qu’elles impliquent des stratégies et des tactiques différentes – non pas demain, mais aujourd’hui, ici et maintenant. La différence est décisive.

Par exemple : faut-il concentrer nos efforts sur le combat en direction de l’opinion publique en Israël, ou bien devons-nous abandonner le combat ici et porter tous nos efforts sur le combat à l’extérieur ?

Je suis Israélien. J’ai les deux pied sur le sol de la réalité israélienne. Je veux changer radicalement cette réalité. Mais je veux que l’État d’Israël existe.

Toute personne qui s’oppose à l’existence d’Israël en tant qu’État exprimant notre identité israélienne se prive de toute possibilité d’action ici. Toutes ses activités en Israël sont vouées à l’échec.

Une personne peut perdre espoir et dire : il n’y a rien à faire, tout est perdu, nous avons passé le « point de non retour », la situation est « irréversible », nous n’avons plus rien à faire dans ce pays.

Chacun peut perdre espoir un moment. Peut-être avons-nous, chacun d’entre nous, perdu espoir à un moment ou à un autre. Mais il ne faudrait pas en faire une idéologie. Le désespoir détruit la capacité d'agir.

Je dis qu’il n’y a aucune raison de désespérer. Rien n’est perdu. Rien dans la vie n’est « irréversible » si ce n’est la vie elle-même. Un « point de non retour », cela n'existe pas.

J’ai 83 ans. Au cours de mon existence, j’ai vu l’arrivée des nazis et leur chute. J’ai vu l’Union soviétique à son zénith et j’ai assisté à son effondrement. La veille de la chute du mur de Berlin, aucun Allemand ne croyait qu'il verrait cela de son vivant. Les experts les plus avertis ne l’avaient pas prévu. Parce qu’en histoire, il y a des courants souterrains que personne ne perçoit en temps réel. Voilà pourquoi les analyses théoriques sont si rarement confirmées.

Rien n’est perdu tant que les combattants ne lèvent pas les mains en l’air et tant qu’ils ne disent pas que tout est perdu. Lever les mains en l’air n’est pas une solution et ce n’est pas moral non plus.

Dans notre situation, une personne qui perd espoir a le choix entre trois solutions : (a) l’émigration, (b) l’émigration interne qui signifie rester chez soi à ne rien faire, ou (c) s’évader vers le monde des solutions idéales en attendant la venue du Messie.

La troisième solution est pour le moment la plus dangereuse, parce que la situation est critique, en particulier pour les Palestiniens. Le temps n’est pas à une solution pour dans 100 ans. Il nous faut une solution urgente, une solution que l’on puisse mettre en œuvre en quelques années.

On a dit qu’Avnery est un vieil homme, qu’il s’en tient à de vieilles solutions, qu’il est incapable d’adhérer à une idée nouvelle. Laissez-moi m’étonner : quelle idée nouvelle ?

L’idée d’un seul Etat commun était une idée ancienne quand j'étais un enfant. Elle était en vogue dans les années 30 du siècle dernier. Mais elle a fait long feu. L’idée d’une solution à deux Etats a germé dans le sol de la nouvelle réalité.

Si je puis me permettre de faire une remarque personnelle : je ne suis pas un historien. J’ai vécu ces choses, j’en suis le témoin oculaire, le témoin auditif, le témoin affectif. Comme soldat au cours de la guerre de 1948, comme directeur d’une revue pendant 40 ans, comme député à la Knesset pendant 10 ans, comme militant de Gush Shalom – j’ai observé les évènements sous différents angles. Je sens le pouls de l’opinion publique.

L’idée d’Un seul État soulève trois questions :

(1) Est-elle réellement possible ?

(2) Si elle est possible – est-elle une bonne solution ?

(3) Apportera-t-elle une paix juste ?

Pour ce qui est de la première question, je réponds clairement : non, elle n’est pas possible.

Quiconque est en relation avec le public juif israélien sait que son désir le plus profond est l’existence d’un État à majorité juive. Un État dans lequel les Juifs soient maîtres de leur destin. Ce désir l’emporte sur toutes les autres aspirations, même sur le désir d’un État couvrant la totalité d’Eretz-Israël.

On peut parler d’un seul État de la Méditerranée au Jourdain, d’un État binational ou non national – en pratique cela signifie le démantèlement de l’Etat d’Israël. C’est la négation de tout le travail de construction d’une nation, un travail qui a été poursuivi par cinq générations. Il faut le dire clairement, sans marmonner et sans équivoque ; c’est ce que pense très exactement l’opinion publique – la juive, et certainement la palestinienne. Ce dont nous parlons, c’est du démantèlement de l’État d’Israël.

Nous voulons changer beaucoup de choses dans cet État, sa version de l'histoire, sa définition admise d’État « juif et démocratique ». Nous voulons mettre fin à l’occupation à l’extérieur et à la discrimination à l’intérieur. Nous voulons fonder sur de nouvelles bases la relation entre l’État et ses citoyens arabes palestiniens. Mais il n’est pas possible d’ignorer l’éthique de base de l’immense majorité des citoyens de l’État.

99,99% des Juifs ne veulent pas démanteler l’État. Et cela est absolument naturel.

Il est illusoire de penser que cela puisse être changé sous l’effet de pressions extérieures. Est-ce que des pressions exterieures vont contraindre ce peuple à abandonner l’État?

Je vous propose un test simple : pensez un instant à vos voisins à la maison, au travail ou à l’université. Un seul d’entre eux est-il disposé à renoncer à son État parce que quelqu’un à l’étranger le souhaite ? En raison de pressions de l’Europe ? Même de pressions de la Maison Blanche ? Non, rien d’autre qu’une défaite militaire écrasante sur le champ de bataille ne contraindra les Israéliens à renoncer à leur État. Et si cela arrivait, notre débat deviendrait de toutes façons sans objet.

La majorité du peuple palestinien aussi souhaite avoir son propre État. Il en a besoin pour répondre à ses aspirations les plus fondamentales, pour retrouver sa fierté nationale, pour guérir les traumatismes qu’il a subis. Même les chefs du Hamas, avec lesquels nous nous sommes entretenus, le souhaitent. Quiconque pense autrement se berce d’illusions. On trouve des Palestiniens partisans d’un seul État, mais pour la plupart d’entre eux il s’agit d’une expression codée pour signifier le démantèlement de l’État d’Israël. Eux aussi savent que c’est une utopie.

On trouve aussi quelques Palestiniens qui s’imaginent que s’ils parlent d’un seul État cela va effrayer les Israéliens au point de les amener à consentir à l’établissement d’un État palestinien à côté d’Israël. Mais le résultat de ce raisonnement machiavélique est tout à fait opposé : il effraie les Israéliens et les pousse dans les bras de la droite. Il réveille le monstre du nettoyage ethnique qui sommeille dans un coin. Il ne faut pas oublier ce monstre un seul instant.

 

DANS L'ENSEMBLE du monde, la tendance est inverse : non pas la création de nouveaux États multinationaux mais au contraire la division d’États en leurs composantes nationales. En Écosse, cette semaine, un parti qui veut la séparation d’avec l’Angleterre l’a emporté. La minorité francophone du Canada hésite toujours au bord de la sécession. Le Kosovo est à la veille d’obtenir son indépendance de la Serbie. L’Union Soviétique a éclaté en ses différentes composantes et la Tchétchénie veut se séparer de la Russie, la Yougoslavie a éclaté, Chypre s’est divisée, les Basques veulent l’indépendance, les Corses également, une guerre civile fait rage au Sri Lanka et aussi au Soudan. En Indonésie, les liens se dissolvent dans une dizaine d’endroits. La Belgique ne cesse d’avoir des problèmes.

Dans le monde entier il n’y a aucun exemple de deux nations différentes qui décident librement de vivre ensemble dans un seul État. Il n’y a pas d’exemple, en dehors de la Suisse, d’État binational ou multinational qui fonctionne réellement. (Et l’exemple de la Suisse, qui a développé depuis des siècles un processus unique, est l’exception proverbiale qui confirme la règle.)

L’espoir qu’après 120 ans d’un conflit, dans lequel une cinquième génération est déjà née, il puisse y avoir une transition de la guerre totale à la paix totale dans le cadre d’un État commun, en abandonnant toute aspiration à l’indépendance – c’est là une illusion complète.

 

COMMENT cette idée pourrait-elle prendre corps ? Les partisans d’un seul État n’entrent jamais dans les détails.

On est supposé, semble-t-il, aboutir à quelque chose du genre : les Palestiniens abandonneront leur lutte de libération et leur aspiration à un État national qui leur soit propre. Ils annonceront leur désir de vivre dans un État commun avec les Israéliens. Après la mise en place de cet État, ils auront à se battre pour leurs droits civils. Des gens de bonne volonté de par le monde soutiendront leur combat, comme il l’ont fait dans le passé pour l’Afrique du Sud. Ils imposeront un boycott. Ils isoleront l’État. Des millions de réfugiés reviendront au pays. Ainsi la roue tournera en arrière et la majorité palestinienne accédera au pouvoir.

Combien de temps cela prendra-t-il ? Deux générations ? Trois générations ? Quatre générations ?

Quelqu’un imagine-t-il comment un tel État fonctionnera dans la pratique? Les habitants de Bil’in paieraient les mêmes impôts que ceux de Kfar-Sava ? Les habitants de Jenin adopteraient une constitution commune avec ceux de Netanya ? Les habitants d’Hébron et les colons serviraient dans la même armée et dans la même force de police, côte à côte, et ils seraient soumis aux mêmes lois ? Est-ce réaliste ?

Certains disent : mais cette situation existe déjà. Israël gouverne déjà un État qui s’étend de la mer jusqu’au Jourdain. Il suffit de changer le régime. Mais rien de tel n’existe. Ce qui existe, c’est un État occupant et un territoire occupé.

Il est de loin, de très loin, plus facile de démanteler des colonies que de contraindre six millions de Juifs israéliens à démanteler leur État.

 

NON, L’ÉTAT UNIQUE ne verra pas le jour. Mais posons-nous la question – si cela se produisait, serait-ce une bonne chose ?

Je réponds : absolument pas.

Examinons cet État, non pas comme une création imaginaire, comme un modèle parfait, mais comme il serait en réalité.

Dans cet État, les Israéliens seraient en situation de domination. Ils jouiraient d’une supériorité complète dans pratiquement tous les domaines – qualité de la vie, puissance militaire, capacités technologiques. Le revenu annuel moyen d’un iIsraélien est 25 fois (25 fois !) celui d’un Palestinien – 20.000 $ contre 800$. Les Israéliens veilleraient à confiner les Palestiniens longtemps, très longtemps, dans des tâches subalternes.

Il s’agirait d’une occupation par d’autres moyens. Une occupation déguisée. Cela ne mettrait pas fin au conflit mais en ouvrirait une autre phase.

 

CETTE SOLUTION apporterait-t-elle une paix juste ? Difficilement.

Cet État serait un champ de bataille. Chaque partie essaierait de s’emparer d’autant de terres que possible et d’y faire venir autant de monde que possible. Les Juifs se battraient par tous les moyens pour empêcher les Arabes de devenir majoritaires et d’accéder au pouvoir. Dans la pratique, ce serait un État d’apartheid. Si les Arabes devenaient majoritaires et tentaient d’accéder au pouvoir, il y aurait une bataille qui pourrait dégénérer en guerre civile. Une réédition de 1948.

Même un partisan d’un seul État doit admettre que le conflit se poursuivrait sur plusieurs générations. Beaucoup de sang peut couler et les résultats sont loin d’être assurés.

L’idée est utopique. Pour la réaliser, il faut changer le peuple, peut-être les deux peuples. Il faut créer un nouvel être humain. C’est ce que les communistes ont essayé de faire dans les débuts de l’Union soviétique. C’est ce que les fondateurs des kibboutz ont essayé de faire. Malheureusement, l’être humain n’a pas changé.

L’utopie peut entraîner des conséquences terribles. La vision du « loup qui cohabite avec l’agneau » exige d’apporter un nouvel agneau chaque jour.

Il y a des gens qui citent le modèle de l’Afrique du Sud. Un bel exemple, et encourageant. Malheureusement il est difficile de trouver une similitude entre le problème là-bas et le problème ici. En Afrique du Sud, il n’y avait pas deux nations, chacune avec une tradition, une langue et une religion qui remontent à plus d’un millier d’années. Ni les blancs ni les noirs ne souhaitaient un État séparé pas plus qu’ils n’avaient jamais vécu dans deux États distincts. Leur État unique avait déjà une longue existence et l’enjeu de la lutte était le pouvoir dans cet État unique.

Les patrons d’Afrique du Sud étaient racistes ; ils admiraient les nazis et avaient été emprisonnés pour cela pendant la Seconde guerre mondiale. Il était facile de boycotter leur État dans tous les domaines d’activité. Israël, d’autre part, est considéré par le monde comme l’État des survivants de l’Holocauste et, mis à part de petits groupes, personne ne le boycottera. Il suffit aux Israéliens de signaler que le premier pas sur le chemin d’Auschwitz a été le slogan nazi « Kauft nicht bei Juden » – n’achetez pas aux Juifs.

En outre, un boycott mondial ferait naître dans le cœur de nombreux Juifs du le monde entier la peur la plus profonde de l’antisémitisme et les pousserait dans les bras de l’extrême droite.

Il en va tout à fait différemment d’un boycott ciblé contre des éléments précis de l’occupation. Nous avons été les pionniers de cette approche lorsque, il y a plus de dix ans, nous avons commencé un boycott des produits des colonies et nous avons entraîné l’Union européenne derrière nous.

Soit dit en passant, des experts de l’Afrique du Sud estiment que les effets du boycott ont été largement surévalués. Le boycott n’a pas été le principal facteur de la chute du régime de l’apartheid, mais la situation internationale. Les États-Unis soutenaient le régime en tant que bastion dans la lutte contre le communisme. Après l’effondrement de l’Union soviétique, les Américains ont simplement laissé tomber l’Afrique du Sud.

La relation entre les États-Unis et Israël est incommensurablement plus profonde et complexe. Elle a des composantes idéologiques profondes – une approche de l’histoire nationale semblable, la théologie des chrétiens évangéliques, et bien davantage.

 

LA SOLUTION À DEUX ÉTATS est la seule solution praticable au royaume de la réalité.

Il est ridicule de dire qu’elle a échoué. C’est tout le contraire qui est vrai. Dans le domaine le plus important, celui de la conscience collective, elle l’emporte absolument.

Au lendemain de la guerre de 1948, lorsque nous avons hissé notre drapeau pour la première fois en Israël, nous étions un petit groupe. On pouvait nous compter sur les doigts de deux mains. Chacun niait jusqu’à l’existence d’un peuple palestinien. Vers la fin des années 60, me trouvant à Washington DC, j’ai eu des entretiens avec des personnalités à la Maison blanche, à la Sécurité nationale, au Département d’État, au Conseil national de sécurité et avec la délégation américaine aux Nations unies – personne là-bas n’était prêt à accueillir cette idée.

Maintenant il y a un consensus dans le monde entier pour considérer que c’est la seule solution. Les États-Unis, la Russie, l’Europe, l’opinion publique israélienne, l’opinion publique palestinienne, la Ligue arabe. On doit réaliser pleinement la signification de la réalité suivante : l’ensemble du monde arabe est maintenant en faveur de cette solution. Ceci est extrêmement important pour l’avenir.

Pourquoi cela s’est-il produit ? Après tout, ce n’est pas que nous soyons doués au point de l’emporter sur le monde entier. Non, c’est la logique intrinsèque de cette solution qui a conquis la planète. En vérité, certains des nouveaux adhérents à cette solution n’y adhèrent que du bout des lèvres. Peut-être s’en servent-ils pour détourner l’attention de leurs véritables objectifs. Des gens comme Ariel Sharon ou Ehoud Olmert agissent comme s’ils soutenaient cette idée, alors qu’en réalité leur intention est de maintenir l’occupation de façon définitive. Mais cela montre que même eux ont conscience qu’ils ne peuvent pas s'opposer ouvertement à la solution de deux États. Comme le monde entier reconnaît que cette solution est la seule praticable – elle sera , en fin de compte, mise en œuvre.

LES MODALITÉS en sont bien connues et recueillent elles aussi l’accord du monde entier :

1 – Un État palestinien sera constitué à coté d’Israël.

2 – La frontière entre eux sera la Ligne verte, avec peut-être des accords d’échange de territoires à égalité.

3 – Jérusalem sera la capitale des deux États.

4 – Il y aura un accord pour la solution du problème des réfugiés. Pratiquement, cela veut dire qu’il y aura un accord sur le nombre de ceux qui pourront revenir en Israël et que les autres pourront bénéficier d’une réinsertion dans l’État palestinien ou dans les lieux où ils résident actuellement, avec le versement de compensations généreuses qui en feront des hôtes bienvenus. Quand un accord sera intervenu sur un plan qui permette d’indiquer à chaque famille réfugiée les choix qui lui sont proposés, ce plan devra être soumis aux réfugiés, où qu’ils soient. Ils doivent être associés à la décision finale.

5 – Il y aura un partenariat économique, dans le cadre duquel le gouvernement palestinien sera en mesure de défendre les intérêts palestiniens, à la différence de la situation actuelle. L’existence même de deux États atténuera, au moins dans une certaine mesure, l’énorme écart de puissance entre les deux côtés.

6 – Dans un avenir plus lointain – une Union du Moyen Orient, sur le modèle de l’Union Européenne, qui pourrait comprendre aussi la Turquie et l’Iran.

Les obstacles sont bien connus, et ils sont importants. Il n’y a pas de solutions évidentes pour les contourner. Il faut les affronter et les surmonter. Ici, en Israël, nous devons atténuer les craintes et les inquiétudes et faire valoir les avantages et le profit que nous tirerons de la création d’un État palestinien à côté du nôtre.

Nous devons provoquer une nouvelle prise de conscience. Mais nous avons déjà parcouru une longue route depuis les jours où tout le monde niait l’existence même du peuple palestinien, refusait l’idée d’un État palestinien, refusait le partage de Jérusalem, refusait tout dialogue avec l’OLP, refusait tout accord avec Arafat. Dans tous ces domaines, notre position a fait son chemin et a été acceptée à des degrés divers.

Il est clair que cela est encore éloigné de ce qui est nécessaire. Mais c’est la direction dans laquelle les choses évoluent – et des centaines de sondages d’opinion le montrent.

 

LES OBSTACLES RÉELS à la solution de deux États peuvent être surmontés. Ils sont faibles comparés aux obstacles sur le chemin d’un État unique. Je dirais que le rapport est de 1 à 1.000. C’est comme un boxeur qui ne peut vaincre un adversaire poids plume et qui choisirait alors de s’attaquer à un poids lourd. Ou un athlète qui échoue dans un sprint de 100 m et qui s’attaquerait au marathon. Ou quelqu’un qui n’arrive pas à escalader le Mont Blanc et qui entreprendrait l’ascension de l’Everest.

À n’en pas douter, l’idée d’un seul État est un sujet de satisfaction morale pour ses adeptes. Quelqu’un m’a dit : c’est vrai, ce n’est pas réaliste, mais c’est moral et c’est sur ce terrain que je veux m’engager. Je réponds : c’est un luxe que nous ne pouvons pas nous offrir. Quand le sort de tant d’êtres humains est en jeu, une position morale qui n’est pas réaliste est immorale.

Il y a ceux qui désespèrent parce que les forces de paix n’ont pas réussi à mettre fin à l’occupation. Nous sommes restés une faible minorité. Le gouvernement et les médias nous ignorent. C’est vrai. Mais nous avons aussi notre part de responsabilité là dedans. Nous n’avons pas réfléchi suffisamment, nous n’avons pas identifié les raisons des échecs. Quand avons-nous eu pour la dernière fois une discussion approfondie sur les stratégies et les tactiques du combat pour la paix ?

Nous n’avons pas réussi à établir des liens avec la communauté des Juifs orientaux. Nous sommes restés étrangers aux immigrants russes. Nous n’avons même pas un partenariat réel avec la communauté arabe palestinienne en Israël. Nous n’avons pas trouvé les voies pour toucher les cœurs du grand public. Nous n’avons pas réussi à constituer une force politique unie et efficace susceptible d’exercer une influence sur la Knesset et le gouvernement. Nous devons nous mettre en question.

Il ne suffit pas de mettre en évidence que la solution de l’État unique n’est pas réalisable. Cette « solution » est en outre très dangereuse :

1 – Elle oriente les efforts dans une mauvaise direction. Nous voyons déjà ce qui arrive. Elle est le fruit du désespoir et conduit au désespoir. Elle entraîne les gens à déserter le champ de bataille en Israël et donne l’illusion que le vrai champ de bataille est à l’extérieur. C’est fuir les réalités.

2 – Elle entraîne une perte de temps irrécupérable. Des dizaines d’années pendant lesquelles des choses terribles peuvent arriver aux Palestiniens et aussi à nous. Quiconque à peur du nettoyage ethnique (et à juste raison) doit être conscient d’un tel danger et de son imminence.

3 – Elle divise le camp de la paix et creuse le fossé entre lui et l’opinion publique. Elle renforce la droite, parce qu’elle effraie le public modéré et le conduit à perdre de vue une solution raisonnable.

4 – Elle tire le tapis de dessous les pieds de ceux qui se battent contre l’occupation. Si, de toute façon, la totalité du pays entre la mer et le Jourdain doit devenir un seul État, alors les colons peuvent implanter leurs colonies partout où ils en ont envie.

5 – Elle renforce l’argument qu’il n’y a pas de solution au conflit. Si la solution à deux États est une erreur et si la solution d’un État unique n’est pas réalisable, alors la droite a raison de prétendre qu’il n’y pas de solution du tout – un argument qui justifie tous les maux depuis l’occupation éternelle jusqu’au nettoyage ethnique. l'absence de solution signifie une occupation sans fin.

Soyons clairs : il n’y aura pas de fin à l’occupation tant qu’il n’y aura pas d’accord de paix.

Quant à l’avenir lointain, nous pouvons peut-être nous rencontrer à des endroits inattendus. Quand nous atteindrons l’étape que l’on appelle paix entre deux États, chacun sera libre de choisir la prochaine étape.

Quelqu’un voudra-t-il s’efforcer de rassembler les deux États en un seul ? Qu’il s’y emploie. Quelqu’un pensera-t-il que la solution à deux États est bonne et doit être définitive ? Pourquoi pas. Quelqu’un pensera-t-il, comme moi, que les deux Etats évolueront progressivement, d’un commun accord tout au long de la démarche, vers une confédération ou une fédération ? Bienvenu.

(Lors de notre première rencontre en 1982, Yasser Arafat m’a parlé d’une solution du type Benelux – celle qui a existé quelque temps entre la Belgique, les Pays Bas et le Luxembourg – entre Israël, la Palestine, la Jordanie, et peut-être même le Liban. Il a continué à en parler jusqu’à la fin.)

L’expérience prouve que l’État national classique est une réalité formelle, avec chacun son propre pavillon, mais que, dans la pratique, beaucoup de ses fonctions sont transférées à des structures supranationales, comme l’Union Européenne.

(À ce propos, quand l’idée d’une union européenne est apparue pour la première fois, beaucoup souhaitaient créer les États-Unis d’Europe sur le modèle américain. Charles de Gaulle mit en garde contre le fait d’ignorer les sentiments nationaux. Il appela à une « Europe des patries », une Europe fondée sur des États nationaux. Heureusement, cette vision a prévalu et maintenant la vie fait le reste.)

Quelque chose d’analogue finira, je le pense, par se produire ici également. Mais, pour l’instant, il nous faut traiter le problème immédiat. Nous sommes en face d’une personne blessée qui perd son sang en abondance. Il faut arrêter l’hémorragie et cicatriser la blessure avant de pouvoir traiter les racines du mal.

 

EN RÉSUMÉ, voici mon opinion :

La situation est terrible (ce n’est pas nouveau), mais nous faisons malgré tout des progrès.

Certes, au premier abord, la situation est déprimante et choquante : les colonies prennent de l’extension, le mur se développe, l’occupation cause chaque jour des injustices indicibles.

C’est peut-être le privilège de l’âge : à 83 ans je suis aujourd’hui en mesure de considérer les choses dans une perspective de temps beaucoup plus longue.

En profondeur, les choses évoluent en sens inverse. Tous les sondages montrent qu’une majorité décisive de l’opinion publique israélienne accepte l’existence du peuple palestinien et admet aussi la nécessité d’un État palestinien. Le gouvernement a reconnu hier l’OLP et reconnaîtra demain le Hamas. La majorité a plus ou moins accepté que Jérusalem doive devenir la capitale de deux États. Dans des cercles qui ne cessent de s’élargir, on constate le début d’une reconnaissance de la lecture de l’histoire que fait l’autre nation.

Au plan mondial, la solution à deux Etats fait consensus ; on y est arrivé par élimination : en réalité il n’y en a pas d’autre. Mais pour la réaliser, il faut qu’elle obtienne le soutien de l’intérieur, celui de l’opinion publique israélienne. C’est ce soutien que nous devons susciter. C’est notre boulot.

J’ajoute une mise en garde : nous devons faire attention aux utopies. Une utopie, c’est comme une lumière à l’extrémité du tunnel. Elle fait chaud au cœur. Mais c’est une lumière trompeuse qui peut vous inciter à vous engager dans une branche du tunnel à laquelle il n’y a pas d’issue.

Nous n’avons jamais obtenu de réponses aux deux questions décisives relatives à la solution d’un État unique : comment va-t-il se constituer et comment fonctionnera-t-il en pratique ? Á défaut de réponses claires à ces questions, nous n’avons pas un plan, mais au mieux un rêve.

En vérité, 120 années de conflit ont créé dans notre peuple une immense accumulation de haine, de préjugés, de sentiments de culpabilité refoulés, de stéréotypes, de peur (le sentiment le plus important, la peur) et une méfiance absolue à l’égard des Arabes. C’est cela que nous devons combattre, afin de convaincre l’opinion publique que la paix est utile et bonne pour l’avenir d’Israël. Conjuguées avec un changement de la situation internationale et un partenariat avec le peuple palestinien, nos chances d’arriver à la paix sont bonnes. J’ai, de toute façon, décidé de rester en vie jusqu’à ce quelle arrive.

[Traduit de l'anglais : Fred Lucas]



29/05/2007
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