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Égypte, pourquoi c’est une révolte sociale

Égypte, pourquoi c’est une révolte sociale

par Manlio Dinucci

 
 

« Les Etats-Unis sont en train de faire passer la stabilité avant les idéaux démocratiques » : c’est ce qu’écrivait le New York Times hier à propos de l’Egypte. Ils laissent donc « l’espoir de changements pacifiques et graduels dans les mains des fonctionnaires égyptiens, à commencer par Mr. Souleiman, qui ont toutes les raisons de ralentir le processus ». Le secrétaire d’Etat Hillary Clinton a clarifié ceci à la Conférence de Munich sur la sécurité en déclarant que, en Egypte, comme dans d’autres pays, les USA « soutiennent les institutions » et, en même temps, sont « engagés à soutenir des organisations, intellectuels, journalistes qui travaillent avec des moyens pacifiques pour garder l’honnêteté du gouvernement».

Ceci confirme que Washington essaie de donner un visage « démocratique » à un pays dans lequel le pouvoir continue à s’appuyer sur les forces armées et dans lequel, surtout, l’influence états-unienne reste dominante (cf. il manifesto du 6 février 2011). A Washington cependant, on fait ses comptes sans l’hôte : des millions d’Egyptiens sont descendus dans la rue non seulement contre Moubarak, mais contre l’injustice sociale que son régime a imposé par la force.

En 1991, en échange de la remise d’une dette militaire de 7 milliards de dollars dus aux Etats-Unis, l’Egypte de Moubarak accepta non seulement de participer à la guerre contre l’Irak mais de réaliser un programme du Fond monétaire international, fondé sur des mesures radicales de privatisation et de déréglementation. Ceci a grand ouvert les portes de l’Egypte aux multinationales, surtout états-uniennes et britanniques, en provocant un endettement croissant du pays et un appauvrissement de la population.

L’Egypte est un important exportateur de pétrole et de gaz naturel (fourni aussi à Israël) : cela constitue, en valeur, environ 50% de leur exportation. L’industrie énergétique nationale est cependant fondamentalement aux mains des compagnies occidentales (Bp, Shell, Eni et d’autres), qui en tirent de grands profits en en laissant une partie à l’élite locale. L’Egypte est aussi un important exportateur de produits finis, qui représentent environ 40% des exportations, grâce à un coût du travail parmi les plus bas du monde. Mais ce secteur aussi est dominé, directement ou indirectement, par les multinationales (General Motors, Volkswagen et autres).

Dans un tel contexte, malgré les exportations (directes) croissantes, surtout vers les Etats-Unis et l’Italie, et les fortes entrées dues au tourisme (environ 11 milliards de dollars annuels), l’Egypte enregistre un déficit commercial qui a doublé entre 2006 et 2010, dépassant les 25 milliards de dollars. La dette extérieure a augmenté de façon parallèle, et dépasse les 32 milliards de dollars.

Bien que le PIB égyptien ait gardé un fort taux de croissance (5-6 % annuels), la majeure partie de la population, surtout dans les zones rurales, vit dans des conditions de pauvreté ou en tous cas de graves restrictions économiques, accrues par un taux d’inflation qui dépasse les 10% annuels. Selon des estimations approximatives, environ 40% de la population (qui avoisine les 85 millions d’habitants) se trouve dans des conditions de pauvreté et, dans celle-ci, environ 20% en extrême pauvreté. Ce qui signifie qu’il y a au moins 35 millions de pauvres en Egypte.

Les conditions d’habitation sont un bon exemple des écarts socio-économiques. Dans le Nouveau Caire, la ville satellite de la capitale, on construit pour l’élite au pouvoir d’autres «gated communities» : zones résidentielles luxueuses dans des enceintes surveillées par des gardes armés, aux noms suggestifs comme « Beverly Hills », « Mayfair » et « Le Rêve », avec des villas d’un million de dollars, piscines et terrains de golf. En même temps, la majeure partie de la population du Caire vit amassée dans des habitations délabrées et, à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, les familles paysannes vivent dans des cabanes de boue.

Dans les traces des antiques despotes, le nouveau « pharaon » Moubarak (dont la richesse se monte à des dizaines de milliards de dollars, déposés en grande partie à l’étranger) distribue le pain au peuple, sous forme de subsides pour en abaisser le prix, mais qui augmente la dette extérieure égyptienne payée elle aussi, directement ou indirectement, par la population pauvre.

C’est ce système de pouvoir que les Etats-Unis entendent conserver, pour garder l’Egypte dans leur sphère d’influence, en faisant qu’un jour Moubarak se retire (avec une pension dorée). Ainsi, dans une Egypte contrôlée par les hautes hiérarchies militaires, ce seront les « démocrates » formés et financés par Washington qui « travailleront avec des moyens pacifiques pour garder l’honnêteté du gouvernement».

 

Il manifesto, 9 février 2011

http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20110209/pagina/01/pezzo/296821/  

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

 Manlio Dinucci est géographe.

 

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22/02/2011
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