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gideon levy — les enfants de l'an 5767

Les enfants de l'an 5767 



Les enfants de l'an 5767
 
Ce fut une année calme — relativement calme. Seulement 457 tués chez les Palestiniens et 10 chez les Israéliens — selon B’tselem, l’organisation de défense des droits de l’homme, — les victimes des missiles Qassam incluses. Pourtant ce fut une effroyable année : 92  enfants palestiniens furent tués (fort heureusement aucun enfant israélien, en dépit des Qassam.) Un cinquième des morts palestiniens étaient des enfants ou des adolescents. — une proportion impensable, presque jamais vue. L’année 5767 selon le calendrier juif. Près de cent enfants qui au Nouvel An précédent vivaient encore, jouaient encore, n’ont pas survécu pour voir le début de cette nouvelle année.

Une année. Presque 8000 km dans la petite Land Rover blindée du journal, sans compter les centaines de kilomètres dans la vieille Mercédès  jaune, le  taxi de Mounir et Saïd, nos chauffeurs dévoués de la bande de Gaza. C’est ainsi que nous avons célébré le quarantième anniversaire de l’occupation. Personne ne peut prétendre qu’il s’agit seulement d’un phénomène transitoire. Israël est la puissance occupante. Israël, c’est l’occupation.

Chaque semaine nous emboîtons le pas des combattants qui se rendent dans la bande de Gaza et en Cisjordanie et nous essayons de documenter les actes des soldats de l’IDF,  de la police des frontières, du service secret Shin Beth et des personnels de l’administration civile — bref de la puissante armée d’occupation avec son cortège de meurtres et destructions effroyables, cette année comme toutes les autres depuis quatre décennies.

Et cette année fut l’année des enfants assassinés. Nous ne nous sommes pas rendus dans toutes leurs familles, seulement dans quelques-unes ; les maisons en deuil où les parents versaient des armes amères sur leurs enfants, qui étaient grimpés sur un figuier dans la cour ou préparaient un examen assis sur un banc dans la rue, ou allaient à l’école ou dormaient paisiblement dans la fausse sécurité de leur maison.

 Quelques-uns avaient lancé des pierres sur un véhicule blindé ou touché une clôture interdite. On a tiré sur tous, on en a visé volontairement certains et leur jeune vie s’est arrêtée. De Mohammed (Al-Zakh) à Mahmoud (Al Qarinawi), de l’enfant qu’on a enterré deux fois à Gaza jusqu’à l’enfant qu’on a enterré en Israël. Voilà les histoires des enfants de l’an 5767.

Le premier fut enterré deux fois. Abdullah Al Zakh a identifié la moitié du  corps de son fils Mahmoud à la morgue de l’hôpital Shifa à Gaza grâce à la ceinture et aux chaussettes que portait l’enfant. C’était peu avant la Roch Hachana (Nouvel An juif, NdT).  Le lendemain , lorsque les forces de l’IDF eurent achevé avec succès l’opération dite « Fermons les jardins d’enfants », elles laissaient derrière elle 22 morts et un quartier détruit ainsi que le soin à Sajiyeh, dans la bande de Gaza, de retrouver la deuxième moitié du corps de Mahmoud. Alors eut lieu une deuxième inhumation.

Mahmoud avait 14 ans lorsqu’il mourut. Il a été tué trois jours avant la rentrée scolaire. Voilà de quelle façon nous nous sommes préparés à célébrer la Roch Hachana. À Shifa nous avons vu des enfants amputés des jambes, d’autres qui étaient paralysés et sous respirateur. Des familles ont été tuées dans leur sommeil, alors qu’elles se déplaçaient à dos d’âne ou travaillaient dans les champs. L’opération « Fermons les jardins d’enfants » ou l’opération « Pluies d’été » — qui donc s’en souvient encore ? Lors de la première opération au nom horrible 5 enfants furent tués. Pendant une semaine les habitants de Sajiyeh vécurent dans des affres que ceux de Sdérot n’ont jamais connues — et je ne veux pas minimiser les leurs. Eux aussi ont traversé des affres.

Le lendemain de la Roch Hachana, nous nous sommes rendus à Rafah. Dam Hamad, 14 ans avait été tuée pendant son sommeil, dans les bras de sa mère — une commotion provoquée par les Israéliens sous forme d’un pilier de béton qui s’était abattu sur sa tête avec fracas. C’était la fille unique d’une mère paralysée. Elle était tout ce que possédait sa mère. Dans la pauvre maison du quartier Brazil, à Rafah, nous avons trouvé la mère, gisant sur un grabat, dépouillée de la seule chose qu’elle possédait en ce monde. Une fois sorti je fis la remarque au reporter de la télévision française qui m’accompagnait que dans un moment pareil j’avais honte d’être Israélien. Le lendemain il me téléphona pour me dire : «  À la télévision on n’a pas rapporté vos paroles, par peur des téléspectateurs juifs de France. »

Peu après nous revînmes à Jérusalem et rendîmes visite à Maria Aman, la ravissante petite fille de Gaza qui, suite à un tir de roquette mal ajusté, a perdu presque toute sa famille, y compris sa mère, alors qu’ils circulaient en voiture.  Elle a un père plein de dévouement qui ne la quitte pas. Elle est soignée depuis dix-huit mois dans le magnifique hôpital d’Alyn. Elle a appris à nourrir un perroquet avec sa bouche et à guider son fauteuil roulant par des mouvements du menton.  Tout le reste de son corps est paralysé. Elle est reliée nuit et jour à un respirateur. C’est encore une enfant très gaie, propre et soignée — mais son père craint le jour où on la renverra à Gaza.

Pour le moment ils restent en Israël. Un grand nombre d’Israéliens ont adopté Maria et viennent lui rendre régulièrement visite. Il y a quelques semaines la journaliste Leah Lior l’a emmenée dans sa voiture voir la mer à Tel Aviv. C’était un samedi soir et la plage était comble — l’attention de nombreuses gens  fut attirée par la petite fille en fauteuil roulant. Quelques personnes la reconnurent et lui souhaitèrent bonne chance. Peut-être y avait -il parmi eux le pilote dont le tir de roquette a atteint sa famille, qui par hasard passait par là. Qui sait ?

Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de recevoir les soins dont bénéficie Maria. À la mi-novembre, quelques jours après le bombardement de Beit Hanoun — quelqu’un s’en souvient-il ? (Oui,moi, NdT) — nous nous sommes rendus dans la ville dévastée et ensanglantée : 22 personnes avaient été tuées en un rien de temps, lorsque onze grenades étaient tombées sur cette ville très peuplée. Islam, 14 ans, était là, vêtue de noir, faisant le deuil de huit de ses proches qui avaient été tués, dont sa mère et sa grand-mère. Ceux que cette attaque laissa blessés ou handicapés n’eurent pas la possibilité d’être soignés à Alyn.

Mais les enfants sont venus à nous. En novembre 31 enfants ont été tués dans la bande de Gaza. L’un d’entre eux, Ayman Al Mahdi, est mort au Centre médical de Sheba, à Tel Hashomer, où on l’avait transporté en toute hâte parce qu’il était dans un état grave. Seul son oncle fut autorisé à rester près de lui durant ses derniers jours. Ayman était en cinquième année de primaire et il était assis sur un banc dans une rue de Jabaya, juste à côté de son école. Une balle tirée d’un blindé l’a atteint. Il avait tout juste dix ans.

En Cisjordanie aussi des enfants ont été tués par des soldats de l’IDF. Djamel Jabaji, un garçon qui soignait les chevaux au camp de réfugiés d’Askar, a reçu une balle dans la tête. Il avait quatorze ans quand il a été tué, au mois de décembre. Lui et ses amis ont lancé des pierres sur des blindés qui passaient devant le camp en direction de Naplouse. Le chauffeur les avait provoqués ; tantôt il allait lentement, tantôt plus vite ; pour finir un soldat est descendu du blindé, a visé l’enfant à la tête et a tiré. Depuis les chevaux de Djamel restent à l’écurie. Sa famille n’est plus capable que de vivre son deuil.

Et Taha Al Jahwi, 16 ans, qu’avait-il fait pour être tué ?

L’IDF a prétendu qu’il avait tenté de saboter les barbelés entourant l’aéroport désaffecté ; mais ses amis  disent qu’il jouait seulement au football et qu’il avait couru après le ballon. Peu importe ce qui s’est passé, les soldats  ont réagi avec rapidité et énergie et lui ont tiré une balle dans la jambe. Il s’est vidé de son sang dans le fossé boueux qui borde la route . Pas un mot de regret, nulle  désapprobation de cet acte lorsque nous avons demandé des explications au porte-parole de l’IDF. On tire à vue sur des enfants qui ne font courir aucun danger à personne - et sans tir de sommation.

Abir Aramin était plus jeune encore, elle avait juste 11 ans. C’était la fille d’un militant de l’organisation Combattants for Peace (les Combattants pour la Paix). En janvier, sortant de l’école d’Anata, elle a voulu s’acheter des bonbons dans une petite boutique. En cours de route un fourgon de la police des frontières a tiré sur elle. Bassam, son père, les yeux très rouges et la voix brisée, nous raconte :  «  Je me suis dit que je ne me vengerais pas. La seule vengeance que mérite  ce « héros », si menacé par ma fille  qu’il a dû l’abattre, c’est d’être traduit en justice. » Mais il y a quelques jours les autorités ont fait savoir que l’affaire était classée : il s’agissait d’une bavure de la police des frontières.

« Je n’utiliserai pas le sang de ma fille à des fins politiques. Je ne veux pas perdre la raison parce que j’ai perdu ce que j’avais de plus cher » nous a dit, à nous aussi, le père accablé, qui compte beaucoup d’amis israéliens.

À Naplouse nous avons relevé que des enfants étaient utilisés comme boucliers humains, en application de la prétendue « procédure du voisin. » Une fillette de onze ans, deux garçons de 12 et 15 ans en  étaient.  La Cour Suprême ne l’avait-elle pas interdit ? Parlons aussi de la mort du bébé Khaled, que ses parents, Sana et Daoud Fakih, avaient tenté d’emmener en urgence à l’hôpital en pleine nuit — une heure où les bébés palestiniens n’ont pas le droit de tomber malades. L’enfant est mort au point de contrôle.

À Kafr Al Shuhada, le village martyr au Sud de Jénine, Ahmed Asasa, 15 ans, s’est enfui devant des soldats qui avaient pénétré dans le village. La balle d’un tireur l’a atteint dans la nuque.

Bushra Bargis n’a même pas eu besoin de quitter sa maison au camp de réfugiés. Fin avril, elle révisait pour un examen en début de soirée. Son livre à la main, elle faisait les cent pas dans la pièce. Un tireur assez éloigné l’a atteinte en plein front. Le livre trempé de sang témoigne de ses derniers instants.

Et les enfants qui ne sont pas encore nés ? Eux non plus ne sont pas davantage en sécurité. Une balle a frappé dans le dos Maha Qatuni, une femme enceinte de sept mois qui s’était levée durant la nuit pour mettre à l’abri ses enfants qui se trouvaient dans la maison. La balle a atteint le fœtus à la tête. La mère blessée était  à l’hôpital Rafidye à Naplouse, avec plusieurs perforations intestinales. Elle voulait appeler son bébé Daoud. Est-ce un meurtre que de tuer un fœtus ? Et quel « âge » avait le petit défunt ? Sûrement le plus jeune de tous les enfants qu’Israël a tués  l’an dernier.

Bonne année ! 

Gideon LEVY
Traduit par Michèle Mialane, révisé par Fausto Giudice

Source : Haaretz

Article original publié le 28 septembre 2007

Sur l’auteur



Michèle Mialane et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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10/10/2007
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