james petras — «préparez vos adieux aux armes»
Le Comandante Petras écrit : «Préparez vos adieux aux armes»
Lettre ouverte au général Petraeus, commandant des forces impériales en Iraq
"Cet homme peut-il sauver l'Irak ? L'universitaire guerrier forme les Irakiens à se battre pour eux-mêmes. Mission d'initié impossible »
Commençons par vos succès militaires, qui ont été tant vantés, en Iraq du Nord – particulièrement dans la province de Ninive. L'Iraq du Nord, Ninive en particulier, est dominée par des chefs militaires et tribaux, ainsi que des patrons de partis politiques, kurdes. La stabilité relative de la région doit peu, pour ne pas dire rien, à vos prouesses contre-insurrectionnelles, et bien plus aux aspirations des Kurdes de la région à "l'indépendance" ou au "séparatisme". Dit crûment, le soutien militaire et financier des USA et d'Israël au séparatisme kurde a produit un État kurde indépendant de facto, matérialisé par le nettoyage ethnique brutal de grandes concentrations de citoyens turkmènes et arabes. Général Petraeus, en donnant libre cours aux aspirations à un "Grand Kurdistan" ethniquement purifié qui empiète sur
Petraeus, frais émoulu de Princeton, en 1987 ...
…et sur le terrain en 2007
Votre théorie "Sécuriser et Tenir" un territoire présuppose une force militaire hautement motivée, fiable et capable de résister à l'hostilité d'au moins 80% de la population colonisée. Le fond de la question est que le moral des soldats étatsuniens - ceux qui sont déjà en Iraq ainsi que ceux qu'il prévu d'y envoyer - est très éprouvé. Maintenant, parmi ceux qui cherchent un moyen rapide pour quitter les forces armées, on trouve aussi des soldats et des sous-officiers de carrière – l'ossature de l'armée. (Financial Times, 3-4 mars 2007 p.2).
Les absences non-autorisées (AWOL) [désertions - NdT] sont montées en flèche – 14.000 entre 2000 et 2005 (FT ibid.) en mars plus de mille en soldats en service actif, réservistes et fusiliers-marins ont soumis une pétition au Congrès pour que les USA se retirent de l'Iraq. L'opposition manifestée par des généraux à la retraite et en activité, contre l'escalade des effectifs décidée par Bush, se propage vers le bas de la hiérarchie militaire et on entend une grogne, particulièrement parmi les réservistes en service actif dont le temps de service a été prolongé à répétition ("conscription par la porte de service"). Les longs séjours ou rotations rapides ont un effet démoralisateur et sapent tout effort qui vise à "consolider les liens" entre les officiers étatsuniens et iraquiens et pour gagner la confiance de la population locale. Si les troupes étatsuniennes sont profondément perturbées par la guerre en Iraq, et de plus en plus enclines à la désertion et à la démoralisation, l'armée mercenaire iraquienne est encore moins fiable. Les Iraquiens recrutés sur la base de la faim et du chômage (causés par la guerre que les USA leur ont imposée), avec des attaches familiales, ethniques et nationales pour un Iraq libre et indépendant, ne font pas des soldats sur qui on peut compter. Tout expert sérieux vous dira que les divisions de la société iraquienne se reflètent dans la loyauté des soldats.
Général Petraeus, comptez vos troupes chaque jour, parce que quelques-unes de plus s'égareront et peut-être dans l'avenir vous trouverez-vous face à un terrain d'exercices vide ou pire encore une révolte dans vos casernes.
Le taux élevé persistant de pertes parmi les soldats étatsuniens et les civils iraquiens au cours du premier mois de votre commandement, suggère que votre plan de "Tenir et Sécuriser" Bagdad n'a pas réussi à modifier la situation dans son ensemble.
Petraeus, votre « manuel de règles » donne la priorité à la "sécurité et au partage des tâches comme des moyens pour transmettre le pouvoir aux civils et encourager la réconciliation nationale". La sécurité est fugace parce que ce que, pour le commandant US , la « sécurité », cela veut dire le libre mouvement des troupes étatsuniennes et celles de leurs collaborateurs, et qu'elle est basée sur l'insécurité où vit la majorité iraquienne colonisés est assujettie à des fouilles maison par maison, des effractions de leur domiciles, de fouilles au corps humiliantes et des arrestations. "Le partage des tâches" sous un général usaméricain et ses forces militaires n'est qu'un euphémisme pour "la collaboration iraquienne" "exécutant" vos ordres.
Le "partage" implique un rapport de force particulièrement asymétrique: les USA ordonnent et les Iraquiens exécutent. Les USA définissent la "tâche" d'informer sur les insurgés, et la population est censée fournir des "informations" sur leurs familles, leurs amis et leurs compatriotes, autrement dit trahir leur peuple. Cependant, cela semble plus facile à écrire dans votre manuel qu'à réaliser sur le terrain.
"Transférer le pouvoir aux civils" comme vous dites, assume que ceux qui "ont le pouvoir" le cèdent aux "autres". Autrement dit, les militaires étatsuniens cèdent la gestion du territoire, de la sécurité, des ressources financières et de leur distribution au peuple colonisé. Mais ce sont précisément ces gens qui protègent et soutiennent les insurgés qui s'opposent à l'occupation usaméricaine et à son régime fantoche.
Sinon, Commandant, ce que vous voulez dire c'est "transférer le pouvoir" à une petite minorité de civils volontaires à collaborer avec l'armée d'occupation.
La minorité civile que vous aurez "habilité" aura besoin d'une protection militaire usaméricaine pour la protéger des représailles.
Jusqu'à présent rien de tel n'est arrivé, il n'y a pas de collaborateurs de quartier auxquels ont été délégués de vrais pouvoirs. Ceux qui en ont eu, sont morts, se cachent ou sont en fuite.
Petraeus, votre but de "réconciliation nationale" présume que l'Iraq existe en tant que nation souveraine libre. Ceci est une condition préalable à la réconciliation de deux adversaires en guerre. Mais la colonisation usaméricaine de l'Iraq est un déni flagrant des conditions de réconciliation. Ce n'est que lorsque l'Iraq se sera libéré de vous, Commandant Petraeus, de votre armée et des diktats de
L'ancienne clintonette Sarah Sewall (ex-vice- secrétaire adjointe à
Friedberg, Allemagne, 25 juin 1964: Le ministre de
Les préceptes de votre fascicule piochent lourdement dans la doctrine contre-insurrectionnelle "Nettoyez et tenez" du général Creighton Abrams de l'époque de la guerre du Vietnam. Abrams avait ordonné une vaste offensive chimique, qui a pulvérisé des milliers d'hectares avec le mortel "agent orange" dans le but de "nettoyer" le territoire contesté. Il a approuvé le plan Phœnix – l'assassinat systématique de 25.000 chefs de village pour "nettoyer" les insurgés locaux. Abrams avait mis en place le programme des "hameaux stratégiques", le déplacement forcé de millions de paysans vietnamiens dans des camps de concentration. À la fin sa stratégie de "Nettoyer et Tenir" a échoué parce que chaque mesure étendait et renforçait l'hostilité populaire, et simultanément augmentait le nombre de recrues pour l'armée de libération nationale vietnamienne.
Petraeus, vous êtes en train de suivre la doctrine d'Abrams. Entre le 5 et le 7 mars 2007 ont eu lieu des bombardements à grande échelle de quartiers sunnites, densément habités, des arrestations massives de chefs locaux suspects ont été accompagnées d'encerclements militaires de quartiers entiers, alors que les fouilles abusives maison par maison ont transformé Bagdad en un grand camp de concentration. Comme votre prédécesseur, le général Creighton Abrams, vous voulez détruire Bagdad pour la sauver. En fait votre politique consiste tout simplement à punir des civils et aggraver l'hostilité de la population de Bagdad. Pendant ce temps les insurgés se fondent dans la population locale ou dans les provinces avoisinantes de Al Anbar, Diyala et Salaheddine, Petraeus. Vous oubliez que bien que vous puissiez "tenir" un peuple otage avec des véhicules blindés, vous ne pouvez pas administrer le pays par les armes. L'échec du général Creighton Abrams n'était pas dû au manque de "volonté politique" de la part des USA comme il s'en était plaint, mais au fait que le "nettoyage" d'une région n'a qu'un effet temporaire. L'insurrection est fondée sur sa capacité à se fondre dans le peuple. Vous vous partez de présupposés de base faux : que le "peuple" et les "insurgés" sont deux groupes distincts et opposés, et que vos forces au sol et vos mercenaires iraquiens sont capables de reconnaître et d'exploiter cette divergence, "nettoyer" les insurgés et "tenir" le peuple. Quatre années d'invasion, d'occupation et de guerre impériale témoignent du contraire. Il a été démontré que - malgré plus de 140.000 soldats US, près de 200.000 mercenaires iraquiens et plus de 50.000 mercenaires étrangers, et après quatre années de guerre coloniale - l'insurrection a bénéficié d'un large et constant soutien de la population. La taux élevé de civils tués, par les Étatsuniens et leurs mercenaires, de civils par rapport à celui des insurgés, suggère que nos troupes n'ont pas été capables de faire la différence entre civils et insurgés (ou alors qu'ils ne tenaient pas à la faire). L'insurrection bénéficie de liens de soutien avec des membres de familles étendues, des amis proches, des voisins, des chefs religieux, des nationalistes et des patriotes. Ces liens au premier, second et troisième degré, attachent l'insurrection à la population. Il n'est pas de même pour les militaires étatsuniens et leurs politiciens fantoches.
Général, vous avez déjà reconnu après un mois de commandement que votre plan "de protéger et de sécuriser la population civile" est en train d'échouer. Alors que vous inondez les rues de Bagdad avec vos véhicules blindés, et vous reconnaissez que les "forces anti-gouvernementales se regroupent au Nord de la capitale". Vous êtes condamné à jouer ce que le Général de division Robert Gaid appelait, si peu poétiquement, "taper la taupe: Les insurgés seront éliminés à un endroit pour reparaître à un autre".
Ce serait présomptueux, Général, de croire que la population ignore que les "forces spéciales" de l'occupation, avec lesquelles vous êtes intimement lié, sont responsables en grande partie du conflit ethnico-religieux. Le journaliste d'investigation Max Fuller dans son examen détaillé des documents souligne que la vaste majorité des atrocités …attribuées à des milices "racaille" chiites ou sunnites "étaient en fait l'œuvre de commandos des 'forces spéciales' contrôlés par le gouvernement; entraînées et 'conseillées' par des Étatsuniens et commandés en grande partie par des anciens agents de
Vous avez reconnu le contexte politique plus large de la guerre! "Il n'y a pas de solution militaire à un problème tel que l'Iraq, tel que l'insurrection…. En Iraq l'action militaire est nécessaire pour améliorer la sécurité… mais c'est insuffisant. Il faudrait aussi qu'il y ait un aspect politique" (BBC 8/3/2007). Pourtant "l'aspect politique clé" - comme vous dites – est la réduction, et non pas l'augmentation des troupes étatsuniennes , l'arrêt des attaques interminables contre les quartiers civils, la mise à terme des opérations spéciales et des assassinats qui visent à fomenter des conflits ethnico-religieux, et par-dessus tout un calendrier de retrait des forces étatsuniennes et de démantèlement de la chaîne de bases militaires étatsuniennes . Général Petraeus, vous ne voulez pas ou vous n'êtes pas en position de mettre en oeuvre ou de configurer un contexte politique approprié pour mettre fin à ce conflit. Votre référence à la "nécessité d'engager des pourparlers avec quelques groupes d'insurgés" soit ne sera pas entendue, soit elle sera considérée comme la continuation des tactiques de diviser pour régner (ou celle du "salami"), qui jusqu'à présent n'ont attiré aucun secteur de l'insurrection. Contrairement à vos impeccables états de service contre-insurrectionnels de Princeton/West Point, vous êtes surtout un tacticien, sage quand il s'agit de technique, mais médiocre quand il s'agit d'affronter un cadre politique de "décolonisation", dans lequel vos tactiques pourraient marcher.
Commandant Petraeus, vous avez été vif à saisir la difficulté de votre mission coloniale. Juste un mois après avoir pris le commandement vous vous êtes engagé dans les mêmes sophismes et discours à double sens que n'importe quel colonel « de brousse ». Pour maintenir le flux de fonds et de troupes de Washington, vous parlez de "réduction des tueries et du mécontentement à Bagdad", omettant subtilement l'augmentation des victimes civiles et usaméricainbes ailleurs. Vous avez parlé de quelques "signes encourageants" et admis aussi qu'il était "trop tôt pour entrevoir des tendances significatives"!
Vous vous êtes déjà donné une mission à calendrier illimité en prolongeant la durée de vos opérations de sécurité à Bagdad de quelques jours à des semaines et à des "mois" (et plus encore?) N'est-ce pas là un manière curieuse de préparer les politiciens étatsuniens à une guerre prolongée – avec peu de résultats significatifs? Il n'y a pas de mal qu'un guerrier philosophe couvre son derrière en anticipation d'un échec.
Général, je suis sûr qu'en tant qu' intellectuel militaire vous avez lu 1984 de George Orwell, parce que vous parlez couramment le double langage. Dans le même souffle vous dites qu'il n'y a « pas de nécessité immédiate de demander que d'avantage de troupes soient déployées en Iraq" (autres que les 21.500 déjà en route), et vous demandez 2.200 policiers militaire supplémentaires pour se charger, à Bagdad, de la prochaine incarcération massive de suspects civils.
Dans le "franc parler" concernant le nombre de troupes dans le temps présent pour votre guerre, vous préparez les conditions pour une escalade dans le futur proche. "Pour l'instant nous ne voyons pas la nécessité d'autres troupes. Mais cela ne veut pas dire qu'une tâche ou une mission émergente [souligné par l'auteur], n'en nécessiterait pas, et si c'est le cas, nous les demanderons"(Al Jazeera, 8.3.2007). Tout d'abord il y a un déferlement de troupes puis il y a une "mission émergeante" et avant de se rendre compte, il y a un autre lot de 50.000 soldats qui arrivent sur le sol alimenter ce hachoir à chair qu'est l'Iraq.
Oui général, vous êtes un fin maître en "double langage" - mais au-delà de ça, vous êtes, avec vos collègues de
Vos ambitions, général Petraeus, dépassent vos compétences. Il vaut mieux commencer à préparer vos adieux aux armes et espérer une promotion à Washington. Rappelez-vous vos chances sont maigres. Il n'y a que des généreux vainqueurs ou ceux qui ont resquillé leur service militaire qui peuvent être élus à la présidence. Mais y a toujours un professorat à l'École Kennedy de l'Université de Harvard pour un "intellectuel guerrier", qui est bon dans les livres, mais un désastre sur le terrain.
James Petras, mars 2007
Traduit par Alexandre Moumbaris et révisé par Fausto Giudice
James Petras est l'auteur et éditeur de
Traduit de l'anglais par Alexandre Moumbaris et révisé par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d'en respecter l'intégrité et d'en mentionner sources et auteurs.
URL de cet article : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2230&lg=fr
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