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palestine — enfants comme boucliers humains

 Nouvelles preuves que l'armée israélienne prend en otage des enfants comme boucliers humains

Un témoignage de Gideon Levy dans Haaretz sur les enfants palestiniens pris comme boucliers humains par l’armée israélienne, à Naplouse, lors de la dernière "incursion". Le fait n’est pas nouveau, contrairement à ce que pense Gideon Levy, des photos le prouvent. Mais qui s’en soucie ?

"La procédure de la fille du voisin"

La Cour suprême a interdit la « procédure du voisin » ? _ Les soldats ont pris une fillette de 11 ans, un garçon de 12 ans et un jeune garçon de 15 ans, chacun séparément et leur ont donné l’ordre de leur servir de bouclier humain dans Naplouse. Même des enfants.

Quand tout a été fini, les soldats lui donné un biscuit et du halva. Ils ont pensé que peut-être avec du halva elle se tairait, que peut-être un biscuit lui scellerait les lèvres. Et, pour plus de sécurité, ils ont doublé les sucreries de menaces : « Ne t’aventure pas à raconter à tes parents, sinon nous te tuerons », lui ont-ils dit avant de la laisser aller son chemin et en sachant avoir commis un acte criminel. On n’imagine pas facilement qui peut offrir des friandises et formuler des menaces à des fillettes. Mais la petite Jihan a parlé, et les parents ont parlé : l’armée israélienne utilise des enfants comme boucliers humains.

« La procédure d’alerte préalable n’est pas conforme au droit international. Elle s’approche à l’excès du ‘noyau’ normatif prohibé et se situe en une eau assez trouble. Il en résulte que nous rendons absolu notre décret provisoire en ce sens que nous déclarons formellement que la procédure d’alerte préalable est contraire au droit international ». Voilà ce qu’écrivait, en octobre 2005, Aharon Barak qui était alors le président de la Cour suprême, dans la décision de déclarer illégale la « procédure du voisin », dite aussi « procédure d’alerte préalable ». La Cour suprême l’a interdite, bon et alors ? Alors, au lieu de prendre des hommes adultes, on prend une fillette. La « procédure du voisin » est interdite ? Alors ce sera la « procédure de la fille du voisin ».

Du halva et un biscuit pour Jihan Dadoush, 11 ans, qui habite dans la Casbah de Naplouse et que les soldats ont arrachée de chez elle en début de soirée en lui ordonnant de les conduire à la cachette d’hommes recherchés, de pénétrer dans un appartement obscur et abandonné, et de vérifier si des personnes recherchées s’y cachaient ou s’il s’y trouvaient des charges explosives. Ils ont fait de même avec Amid Amira, un garçon de 15 ans qui habite un autre quartier de Naplouse. Lui aussi, ils l’ont envoyé dans un appartement obscur, au petit matin, pour y aller en reconnaissance. Quant à Arfa Amira, 12 ans, ils l’ont envoyé pour le contrôle de son propre appartement.

Cette fois, il ne s’agit pas seulement d’une action humaine aberrante ; cette fois, il s’agit aussi d’une violation flagrante d’une décision de la Cour suprême. Après l’épatant « après moi » de la tradition de l’armée israélienne, nous avons maintenant « après » l’autre, après une fillette que les soldats conduisent sous la menace de leurs fusils, s’abritant derrière son corps.

« Hiver chaud », la grande opération de l’armée israélienne à Naplouse, est passé en Israël avec un bâillement d’ennui. Deux semaines après l’invasion, la Casbah est à nouveau noire de monde. C’est maintenant la saison de l’aqub, une plante de montagne dont la saison est très brève et dont le prix grimpe : 25 shekels pour un kilo d’aqub, la truffe de Naplouse, cette semaine, sur les étals de la Casbah.

Nous marchons dans les ruelles ombreuses de la vieille ville - des maisons millénaires dont la beauté n’est pas moindre que celles de la vieille ville de Jérusalem - sur les talons de deux excellents enquêteurs de l’organisation « B’Tselem », Salma Deba’i et ’Abd al-Karim Sa’adi - sans la Cour suprême, mais avec « B’Tselem ».

Après avoir parcouru des ruelles où se vendent feuilles de vigne et côtes de mouton, nous entrons dans une maison en pierre, obscure. Dans la cour intérieure où l’on aère maintenant des tapis de laine, 14 personnes ont été tuées lors de l’opération « Rempart de protection ». Cinq ans plus tard aussi, lors de « Hiver chaud », les soldats ont pris le contrôle, à quatre reprises, de ce lieu mystérieux et tortueux, d’où montent en tous sens d’étroits escaliers. Seuls les gens de l’endroit connaissent ces ruelles et les passages qui les relient. Les soldats cherchaient des tunnels ici, mais dans la vieille ville de Naplouse, on peut passer de maison en maison par les toits.

Des escaliers de pierre, très raides, nous conduisent à l’appartement des Dadoush. Tahani, Nimer et leurs quatre enfants se serrent dans les trois petites pièces, pauvres mais proprettes, aux plafonds voûtés et humides. _ En attendant que Jihan, l’héroïne de notre histoire, rentre de l’école, Tahani, sa mère, nous déroule les frayeurs de son « Hiver chaud » à elle.

Lorsqu’a commencé l’opération, le dimanche 25 février, les soldats ont pris le contrôle des deux appartements voisins, et les familles Hawah et Jedallah ont été forcées de se serrer chacune, dans une petite pièce. Ambiance et divertissement : des soldats ont fait irruption dans l’appartement de la famille Hawah alors que d’autres soldats s’y étaient déjà installés. « Quel choc pour eux quand ils ont vu d’autres soldats dans l’appartement ! », dit Tahani, en riant.

Quelques heures plus tard, ils sont arrivés chez elle aussi. Neuf personnes, dont les beaux-parents et la sœur, ont été contraintes à se cantonner dans le petit salon où nous voilà maintenant assis, pendant que nos forces étaient dans la chambre à coucher et celle des enfants. Nimer, le père, a été arrêté et envoyé pour contrôle à Hawara d’où il est revenu 14 heures plus tard. Bientôt, il prendra part, lui aussi, à notre conversation, dès qu’il aura terminé ses heures dans le restaurant de la Casbah où il travaille. Pourquoi a-t-il été arrêté ? Comme ça. A midi, les soldats ont demandé à monter sur le toit, et l’après-midi, ils sont partis. Cette nuit-là, personne dans la famille n’a fermé l’œil, tant la peur était grande. L’armée israélienne est sur le terrain : toute la Casbah est sous tension.

Le lendemain soir, vers huit heures, ils sont revenus dans l’appartement, les mêmes soldats que la veille, étonnés de voir que Nimer avait été libéré. Mais cette fois les soldats portaient un gros équipement, ce qui a mis Tahani dans une grande frayeur. Elle a demandé à pouvoir aller dans la cuisine, pour se préparer à ce qui s’annonçait à ses yeux devoir être une occupation prolongée de sa maison, et les soldats y ont consenti. Comment se sont-ils comportés avec elle ? « Il y en avait qui étaient sympathiques et d’autres vraiment pas ». Ils ont ordonné aux deux filles, Hanan, 15 ans, et Jihan, 11 ans, de sortir de l’appartement. Dehors, ils ont séparés les deux filles et leur ont demandé si elles savaient où se cachaient les hommes recherchés.

Une lampe au néon éclaire faiblement le petit salon, même de jour. Cocorico, cocorico, lance le coq des voisins. Les deux filles sont revenues du bref interrogatoire, droit dans les bras de leur mère terrifiée. Mais un petit peu plus tard, un soldat est à nouveau entré, cherchant Jihan. Il a ordonné à la fillette de sortir. Il était aux alentours de huit heures du soir. Tahani a crié à l’adresse du soldat : « Elle est petite, c’est une fille et elle a peur », mais il ne l’a pas écoutée. Le fait aussi que Jihan a un défaut au cœur inquiétait vivement sa mère. En vain : le soldat a empêché Tahani de quitter l’appartement pour voir ce que l’on faisait à sa fille. Elle dit avoir été à deux doigts de s’évanouir. Elle a tenté d’obtenir par téléphone l’aide d’une des organisations d’assistance comme le « Medical Relief », mais on lui a répondu ne pas pouvoir approcher de la Casbah qui se trouvait sous couvre-feu.

Nimer, lui aussi, a dit aux soldats : « Emmenez-moi en prison ou en enfer, mais ne touchez pas à la gamine ». Mais les soldats l’ont repoussé, lui ordonnant de se taire et l’on retenu dans la chambre. Après un court moment, Tahani a décidé d’ouvrir la porte, quoi qu’il puisse arriver, mais Jihan et les soldats n’étaient pas sur le seuil. Nimer a perdu la tête. Ainsi a commencé une heure et demie de cauchemar pour les membres de la famille.

Ce n’est qu’après quelques jours que Jihan s’est mise à parler, à raconter à ses parents ce qui s’était passé. Les soldats, et avec eux apparemment un membre de la Sécurité Générale [Shabak, ancien Shin Bet] qui n’était pas vêtu comme eux d’un uniforme, l’ont fait sortir et, une fois dehors, lui ont dit que son papa leur avait dit qu’elle savait où se cachaient les hommes recherchés. Ils ont également dit à la fillette que son papa leur avait dit qu’elle savait où se trouvait le tunnel des hommes recherchés. Elle leur a dit n’en avoir aucune idée, ni appartement ni tunnel. Ils lui ont dit qu’elle mentait. Jihan a raconté que les soldats avaient essayé de lui lier les mains mais qu’elle avait résisté et qu’ils avaient renoncé. « A ce moment-là, par peur », raconte sa mère, « elle a indiqué un des appartements voisins, un appartement resté à l’abandon depuis des années, et elle leur a dit que les hommes recherchés se cachaient là ».

Trois soldats l’ont emmenée jusqu’à cet appartement abandonné qu’elle avait indiqué et qui appartient à la famille Ataout. Ils ont ordonné à la fillette d’entrer dans l’appartement obscur, eux marchant sur ses talons, fusils pointés vers elle. Un des soldats éclairait le chemin. Jihan suppliait les soldats de la laisser retourner chez elle.

Hanan rentre maintenant à la maison, revêtue de l’uniforme à rayures de son école. Puis c’est Nimer qui revient du restaurant. Il a 36 ans et parle l’hébreu. Enfin arrive Jihan, elle aussi dans l’uniforme de l’école. Elle est en classe de 6e et paraît plus mûre que son âge. Une queue de cheval, une chevelure abondante, vive et souriante, elle surprend par la manière dont elle se montre disposée à raconter son histoire : « Les soldats m’ont dit de les accompagner. L’un d’entre eux m’a interrogée à propos des tunnels et des shababs. Je leur ai dit que je ne savais rien. Il m’a dit que j’étais une menteuse. Il m’a menacée en disant qu’on m’arrêterait. J’ai eu peur et je lui ai dit qu’il y avait un appartement vide, que peut-être les hommes recherchés l’utilisaient pour dormir. Les soldats m’on emmenée jusqu’à l’appartement. Je le leur ai indiqué et ensuite ils m’ont ramenée.

« Une demi-heure plus tard, environ, deux soldats sont revenus et ils m’ont demandé de sortir. Ils m’ont placée en tête et marchaient après moi. Les soldats pointaient leurs fusils vers moi, dans mon dos. Quand je suis arrivée à l’appartement, ils m’ont demandé d’y entrer. Ils employaient le rayon laser de leurs fusils pour m’éclairer le chemin. Ils m’ont demandé d’entrer dans la cuisine et dans toutes les pièces, puis ils m’ont demandé comment on allait sur le toit. »

Jihan connaissait les recoins de l’appartement. Jusqu’il y a quelques années habitait ici la famille Sirisi dont la mère était une amie de sa mère. Jihan raconte que les soldats parlaient hébreu entre eux dans l’appartement et qu’elle ne comprenait pas. Ils l’ont laissée dans une des pièces et sont montés sur le toit. Le tout a duré une heure et demie, environ.

Sa mère dit que, ces derniers jours, Jihan a commencé à mouiller son lit. Quand il lui a été dit que nous allions venir recueillir son témoignage, elle a été prise de panique. C’est aux alentours de dix heures du soir que la fillette est revenue, et elle s’est empressée, sans dire un mot, d’entrer dans son lit, se couvrant entièrement, corps et visage, avec la couverture. Sa mère dit qu’elle semblait terrifiée. De temps en temps, elle appelait sa mère depuis son lit : « Les soldats sont-ils revenus pour me chercher ? » Elle tenait dans sa main le halva et le biscuit que les soldats lui avaient donnés.

Le quartier d’Al-Balat à Naplouse, à quelques minutes en voiture de la maison de Jihan. Amid Amira, 15 ans, s’était réveillé, comme tous les membres de sa famille au bruit d’une explosion. Il était à peu près cinq heures du matin, le 25 février, jour d’inauguration d’ « Hiver chaud ». Sept personnes à la maison. Le père est en Amérique. La grenade détonante a explosé à côté de la porte. On en voit des traces de suie. Les trous dans la porte, dans les murs et le plafond témoigne des tirs des soldats, à l’intérieur de la maison.

Na’ima, la mère, a ouvert et a pris peur en voyant des soldats sur le seuil. Ils lui ont ordonné de faire sortir tout le monde. Tous les membres de la famille, dont deux enfants en bas âge et une grand-mère de 80 ans, ont été contraints de passer dans l’appartement des voisins, la famille Qusseini. Trois familles ont été obligées de s’y serrer, une pièce pour chaque famille. Les soldats ont ordonné à Manal, la fille de Na’ima, âgée de 17 ans, de pénétrer dans son appartement, d’allumer toutes les lumières, d’ouvrir toutes les fenêtres, les armoires et les portes. Manal ne comprenait pas l’arabe estropié parlé par les soldats, alors ils ont pris Arfa, 12 ans, et lui ont donné l’ordre d’ouvrir pour eux les portes et de faire de la lumière. De sa voix enfantine, Arfa raconte qu’un des soldats lui a fait un coup de tête avec son casque. « Ça m’a fait un peu mal à la tête », dit l’enfant. Les soldats cherchaient Amer, un des fils, et Ala, le fiancé de Manal, dont le frère, Omar Aqub, est recherché. Ils ont interrogé un autre fils, Ahmed, 28 ans, et comme il leur a dit n’avoir aucune idée de l’endroit où ils étaient, ils ont emmené le jeune Amid.

Amid : « Ils m’ont dit : ‘Dis-nous où se trouve ton frère Amer, ou on te tire dessus’. J’ai dit au soldat que je ne savais pas, et alors il m’a frappé par derrière. Ensuite, ils m’ont demandé à qui appartenait l’appartement voisin et je leur ai dit qu’il appartenait à mon oncle. Ils m’ont dit de les accompagner jusqu’à l’appartement et là, ils m’ont dit d’entrer, d’ouvrir toutes les portes, toutes les armoires et d’allumer la lumière partout. Ils ont lancé une grenade fumigène à l’intérieur de la maison puis m’on dit d’entrer, avec eux sur mes talons. Ils se sont dispersés dans toutes les pièces et ils m’ont mis dans la dernière chambre. Comme ils ne trouvaient rien, ils m’ont conduit dehors ». Pas de biscuit, ni de halva.

Deux jours plus tard, le porte-parole de l’armée israélienne se contentait de cette réponse : « l’affaire est à l’examen ».

Gideon Lévy

Publié le 23-03-2007

www.haaretz.com/hasen/spages/838256.html

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)



24/03/2007
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