uri avnery — un piège à cons
Un piège à cons
Dans un western américain classique, le manichéisme est aussi éblouissant que le soleil de midi au Colorado : il y a les bons et les méchants. Les bons sont les colons, qui font fleurir la plaine. Les méchants sont les Indiens, qui sont des sauvages assoiffés de sang. Le héros de la fin est le cowboy, rude, humain, qui a un gros revolver, ou deux, prêt à se défendre à tout instant.
George Bush, qui a grandi avec ce mythe, colle à lui encore aujourd’hui, alors qu’il dirige la seule superpuissance mondiale. Cette semaine, il a présenté au monde un western dernier cri.
Dans ce western — ou plutôt middle-eastern — il y a aussi des bons et des méchants. Les bons sont les "modérés", qui sont les alliés des Etats-Unis au Moyen-Orient - Israël, Mahmoud Abbas et les régimes arabes pro-américains. Les méchants sont le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, la Syrie et al-Qaïda.
C’est un scénario simple. Tellement simple que même un enfant de huit ans peut le comprendre. Les conclusions aussi sont simples : les bons doivent être soutenus, les méchants doivent mordre la poussière. A la fin, sous le soleil couchant, le héros, - George lui-même - chevauchera son noble coursier, pendant que la musique jouera crescendo.
Le western classique, bien sûr, ne nous montre pas les héroïques pionniers volant la terre des Indiens. Ou la cavalerie des Etats-Unis attaquant les camps indiens, brûlant les tentes et tuant leurs habitants, hommes, femmes et enfants. Comment le gouvernement américain, après avoir signé des traités formels avec les nations indiennes, les a violés l’un après l’autre. Et comment il a conduit les survivants dans des régions désolées, longtemps avant que le terme "nettoyage ethnique" soit utilisé pour la première fois.
Le déni traverse le western classique comme un fil rouge, comme il traverse ce discours de Bush. Il trouve sa principale expression dans un fait très simple : l’occupation est à peine mentionnée.
Dans la communauté palestinienne, par exemple, il y a une lutte entre les "modérés" et les "extrémistes". Les extrémistes sont des tueurs. Pourquoi sont-ils des tueurs ? Il n’y a pas de pourquoi. Ils sont des tueurs parce qu’ils sont des tueurs. C’est dans leur nature. Ils sont nés ainsi. Les modérés sont modérés parce qu’ils sont modérés. Certaines personnes naissent tout simplement bonnes.
Ainsi tout le problème est un problème palestinien. Et les Palestiniens doivent décider. Ils doivent choisir entre les modérés et les extrémistes. S’ils choisissent les modérés, ils obtiendront tout ce qu’ils veulent : des colliers de perles colorées et des bouteilles de whisky. S’ils choisissent les extrémistes, leur fin sera amère.
Les Israéliens juifs n’ont pas à choisir entre les bons et les méchants. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il n’y a pas de méchants parmi eux. Ils sont simplement bons. Ils doivent aider les bons Palestiniens. "Libérer" les taxes palestiniennes et les donner au "Premier ministre (Salem) Fayad". Pas au gouvernement palestinien, mais à une personne nommément désignée, le chouchou de Bush.
Qu’est-il demandé d’autre aux Israéliens ? Ils doivent comprendre que leur "avenir se situe dans des zones en développement comme le Negev et la Galilée — et non dans une occupation continue de la Cisjordanie". (c’est la seule et unique fois que l’occupation est mentionnée). Ils devraient démanteler les avant-postes non autorisés et mettre fin à l’extension des colonies. Ils pourraient aussi "trouver d’autres moyens pour réduire leur présence (en Cisjordanie) sans réduire leur sécurité". Ce qui signifie : l’occupation peut continuer, mais ce serait bien si nous prenions des mesures pour la rendre moins visible.
Il y a longtemps, les Etats-Unis considéraient toutes les colonies illégales. Quand le gouvernement israélien a continué de les étendre, James Baker, Secrétaire d’Etat de Bush père, imposa des sanctions financières à Israël. Bush fils au début exigea que toutes les colonies établies après janvier 2001 soient démantelées. Plus tard, il retira toute opposition aux blocs de colonies ("centres de population"). Dans la "feuille de route" il décréta qu’Israël devait immédiatement geler l’extension des colonies. Aujourd’hui il se contente d’une demande moralisatrice de "détruire des avant-postes non autorisés" (sans l’article défini) - c’est-à-dire quelques-uns seulement de ceux qui se sont installés sans autorisation officielle du gouvernement israélien lui-même. Tout ceci sans la moindre mention de sanctions.
Ces dernières années, un seul avant-poste de ce genre, Amona, a été démantelé, et cette semaine Ehoud Olmert a décidé d’absoudre tous les fanatiques accusés d’avoir attaqués la police pendant ce démantèlement. Le gouvernement israélien sait que Bush n’a fait cette demande que pour la forme et ne le prend pas au sérieux.
Dans beaucoup de westerns classiques, un escroc vend un remède pour guérir toutes les affections : maux de tête, hémorroïdes, tuberculoses et syphilis. George Bush a son propre médicament, qui revient sans cesse dans le discours. Il guérira toutes les maladies et assurera la victoire finale aux Fils de la Lumière sur les Fils des Ténèbres.
L’étiquette sur la bouteille indique "Construction des institutions palestiniennes".
Comment n’y avions-nous pas encore pensé jusqu’à présent ? Pourquoi avions nous cherché toutes sortes de solutions sans trouver celle-ci, si simple, qui était sous nos yeux ?
C’est l’œuf de Colomb, avec une touche d’épée d’Alexandre le Grand tranchant le nœud gordien. Les Palestiniens n’ont pas d’institutions. Les deux personnes de bien, le "Président Abbas et le Premier ministre Fayad... se démènent pour construire les institutions d’une démocratie moderne". C’est-à-dire : "services de sécurité... ministères qui fournissent des services sans corruption... mesures qui libèrent l’initiative des Palestiniens... l’état de droit..."
Tout ceci sous occupation, derrière des barrages routiers, murs et barrières, alors que les routes principales sont interdites aux Palestiniens, que la Cisjordanie est coupée en morceaux et isolée du reste du monde. Incidemment, pour cette question, Bush a un autre remède : toutes les exportations palestiniennes se feront à l’avenir par la Jordanie et l’Egypte et pas par Israël.
Pour réaliser la vision de la "construction des institutions palestiniennes", Bush envoie son caniche. Selon Bush, la seule tâche de Tony Blair est en réalité celle-ci : "coordonner les efforts internationaux pour aider les Palestiniens à mettre en place durablement les institutions d’une société libre et forte. » (A l’instar de quels pays par exemple ? l’Egypte ? L’Arabie Saoudite ? La Jordanie ? Le Pakistan ? Le Maroc ? Ou peut-être même l’Irak ?)
Espérons que personne n’est assez malappris pour mentionner le fait que les Palestiniens ont tenu des élections législatives démocratiques, il n’y a pas si longtemps, sous l’étroite supervision de l’ex-président Jimmy Carter. Pour ce qui est de Bush, cela n’a tout simplement pas existé, puisque la majorité du peuple a voté pour le Hamas. En conséquence, Bush ne mentionne que les élections qui ont eu lieu auparavant, celles qui portèrent Mahmoud Abbas à la présidence, pratiquement sans opposition. Tout autre chose a été effacé de l’histoire.
Voici la toute dernière "vision" : des "institutions palestiniennes démocratiques » seront en place, sans corruption (comme aux Etats-Unis et en Israël), et "des forces de sécurité compétentes" fonctionneront, et le Hamas sera éliminé, et les groupes seront démantelés, et tous les attentats contre Israël seront stoppés, et la sécurité d’Israël assurée, et les appels à la violence contre Israël prendront fin, et tout le monde reconnaîtra le droit d’Israël d’exister en tant qu’"Etat juif et patrie du peuple juif", et tous les accords signés par le passé seront acceptés - alors "nous pourrons bientôt commencer des négociations sérieuses pour la création d’un Etat palestinien." Super !
Quelle phrase merveilleuse ! "Bientôt" - sans calendrier. "Des négociations sérieuses" - sans fixer de date pour leur conclusion. "Un Etat palestinien (là encore, sans l’article défini, que Bush semble détester) - sans frontières déterminées. Mais un indice est donné : "des frontières acceptées mutuellement tenant compte des lignes précédentes et des réalités actuelles, et des ajustements acceptés des deux côtés." C’est-à-dire : les blocs de colonies, et plus encore, seront annexés par Israël.
C’est comme si les auteurs du discours, après avoir fini leur texte, s’étaient aperçu que celui-ci était lamentablement dénué de contenu. Rien de nouveau, rien qui puisse inciter un journal qui se respecte d’en faire un gros titre.
J’imagine le conseiller en communication disant : "Monsieur le Président, nous devons ajouter quelque chose qui fasse nouveau". C’est ainsi qu’est née la "conférence internationale".
"Ainsi j’appellerai à une conférence internationale cet automne avec des représentants de nations qui soutiennent la solution des deux Etats, rejettent la violence, reconnaissent le droit d’Israël d’exister, et s’engagent sur tous les accords précédents entre les parties. Les principaux participants à cette conférence seront les Israéliens, les Palestiniens, et leurs voisins dans la région. La Secrétaire d’Etat Rice présidera la rencontre."
Merveilleux. Une conférence qui n’a pas encore de date, mais aura lieu une saison de l’année. Et pour laquelle aucun lieu n’a encore été fixé. Et aucune liste de participants. Et pas de conclusions prévues, si ce n’est une déclaration générale : "Elle (Condoleezza) et ses homologues examineront les progrès qui ont été faits en ce qui concerne la construction des institutions palestiniennes. Ils rechercheront les voies innovantes et efficaces pour soutenir la future réforme. Et ils apporteront leur soutien diplomatique aux parties dans leurs discussions et négociations bilatérales, de façon que nous nous engagions avec succès sur la voie d’un Etat palestinien." La conférence n’examinera pas les progrès faits en matière de démantèlement des avants-postes, par exemple.
Ce n’est pas un hasard si Bush a omis de citer les gouvernements qu’il a l’intention d’inviter. Il est clair qu’il essayera de remplir un des rêves les plus chers d’Olmert : rencontrer publiquement un haut représentant de l’Arabie Saoudite. Pour Olmert, ce serait un immense succès : une rencontre officielle avec le plus important pays arabe qui n’a pas d’accord de paix avec Israël. Une rencontre pour laquelle il n’aura aucun prix à payer. Un repas gratuit.
Il y a peu de chances que ce désir soit satisfait. Les Saoudiens sont très prudents. Ils ne veulent se disputer avec personne dans la région - pas avec la Syrie (qui ne sera pas invitée quoique "voisine" des Israéliens et des Palestiniens) et pas avec le Hamas. Contrairement à l’Egypte, à la Jordanie et à l’Autorité palestinienne, l’Arabie saoudite ne peut pas être soudoyée. Elle a assez d’argent par elle-même.
L’objectif final est un "Etat palestinien", la "solution des deux Etats". C’est un objectif très lointain. Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle "horizon politique", puisque l’horizon, comme on le sait, recule quand on essaie de s’en approcher.
Dans son poème "Si", Rudyard Kipling décrit tous les tests qu’un jeune anglais doit satisfaire pour être considéré comme un "homme". L’un d’eux est : "Si tu peux supporter d’entendre tes paroles / travesties par les gueux pour mieux piéger les sots..." (traduction essentiellement empruntée à André Maurois - ndt)
Nous, petit groupe d’Israéliens qui avons porté le drapeau de la "solution des deux Etats" depuis plus de cinquante ans, devons aujourd’hui supporter de le voir transformé en chiffon par George Bush pour couvrir sa nudité. Dans sa bouche, c’est un slogan vide, trompeur et mensonger. Seul un idiot peut tomber dans ce piège.
Comme l’a dit un jour Chaim Weizmann, important dirigeant sioniste et premier Président d’Israël : "Aucun Etat n’est donné à un peuple sur un plateau d’argent." Les Palestiniens non plus n’obtiendront pas leur Etat sans lutte, ni comme bakchich de Bush ni comme un "geste" d’Olmert. Les nations parviennent à la liberté par la lutte politique ou militaire. Toute lutte, violente ou non-violente, est une question de pouvoir.
Et le pouvoir signifie avant tout : Unité."
Uri Avnery
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