haaretz — et si ce n'est pas bon pour les juifs?
Introduction du traducteur:
Haaretz est le quotidien sioniste dit de "qualité," un peu comme "Le Monde" en France, du moins à une certaine époque. Il accueille notamment les articles de Gideon Levy, un journaliste courageux et talentueux.
Aujourd'hui elle est devant un nouveau casse-tête : on rapporte que le livre de Toaff montre qu'il pourrait bien y avoir quelque vérité dans au moins une des accusations de sacrifice humain – celle dans laquelle les Juifs de Trente [en Italie] étaient accusés d'avoir assassiné un enfant nommé Simon et d'avoir utilisé son sang pour pétrir du pain azyme pour
Maintenant que Toaff est rentré en Israël après avoir quitté Rome où il s'était rendu pour la publication du livre en italien, Moshe Kaveh, le président de
Il aurait été bien plus aisé de rejeter ce livre si son auteur avait été chrétien. Le dilemme aurait alors été vite résolu en taxant l'universitaire d'antisémite. Il est également facile de s'occuper des Juifs radicaux de
Au cours de toute l'histoire des Juifs, les accusations de sacrifice humain, qui réactualisent métaphoriquement l'accusation selon laquelle les Juifs ont tué Jésus, n'ont pas été une simple question d'image; elles étaient une question de vie ou de mort. Certains universitaires pensent qu'elles remettent encore en cause la survie des Juifs parce qu'elles transforment l'antisémitisme en discours rationnel. Le professeur Israël Jacob Yuval de l'Université hébraïque où il enseigne l'histoire déclare : "J'ai moins d'inquiétude pour les développements en
Yuval, qui rejette catégoriquement l'éventualité d'une quelconque véracité des accusations de sacrifice humain, compte tenu de la nature précaire de l'existence de la minorité juive dans l'Europe médiévale, avait été lui-même la cible d'attaques du milieu universitaire en relation avec ce sujet très chargé émotionnellement. En 1993, il avait publié un article dans lequel il affirmait que les accusations européennes de sacrifices humains au XIIème siècle étaient liées au comportement des Juifs pendant la première croisade quand, par des actes de martyre, des Juifs s'étaient suicidés après avoir tué leurs propres enfants. Yuval s'était intéressé à la manière dont ces événements avaient été déformés dans
Même si
Une chose est indiscutable dans la communauté universitaire israélienne : les limites de la liberté d'expression sont déterminées d'abord et surtout par la qualité et le niveau de la méthodologie de recherche. Tout le reste peut néanmoins être sujet à dispute. Certains universitaires Israéliens maintiennent que tant qu'une recherche correspond aux critères académiques, aucun sujet ne devrait être censuré ou interdit; d'autres affirment que les chercheurs devraient s'auto-censurer et toujours se demander si leur travail est "bon ou pas bon pour les Juifs."
"Je pense que des mesures administratives ne devraient pas s'appliquer à la délimitation des limites de la liberté académique," observe le Dr Ze'ev Hanin qui enseigne la sociologie politique à Bar-Ilan. "Toutefois les chercheurs ne doivent pas seulement essayer d'avoir raison; ils devraient aussi se demander si ce qu'ils font est sage. Nulle part dans son étude Toaff n'affirme de manière étayée que des Juifs ont utilisé du sang chrétien; son livre est plutôt un jeu intellectuel sur des analogies. Si c'est ce qui a été publié, alors cet universitaire manque à la fois de culture et de goût. Il doit tenir compte de sa responsabilité qu'il assume quant aux conséquences qu'aura ce livre." Hanin concède qu'il ne publierait personnellement jamais une telle étude. "Cela tient à ma propre culture académique," affirme-t-il catégoriquement. "Ses découvertes ne sont pas fiables à 100 %. C'est pourquoi je ne me demande pas quel genre d'universitaire est Toaff, mais bien quel genre de personne il est."
Si Hanin parle avec franchise de ses propres limites dans le domaine de la recherche, d'autres parlent de la censure qui leur est imposée, généralement pour des raisons politiques et par des méthodes qui tiennent du "terrorisme universitaire."
L'historien Moshe Zimmerman, professeur à l'Université hébraïque a personnellement subi une telle censure. Zimmerman, qui a le goût de la provocation, avait déclaré que les colons juifs d'Hébron élevaient leurs enfants selon les principes des Jeunesses Hitlériennes. A ce jour, il plaide que cette analogie résultait d'une recherche académique. Le résultat a été affligeant. "Mes collègues avaient exigé mon renvoi," se souvient-il. Même si je n'ai pas été révoqué, mes perspectives de carrière se sont amoindries. Dans mon affaire, comme dans
Le Dr Ron Breiman, membre de Professeurs pour un Israël Fort, une organisation de droite, voit naturellement les choses autrement. Pour lui, tout est politique. "Nous abusons de la liberté d'expression universitaire. Même si l'étude de Toaff était correcte du point de vue factuel, qu'a-t-elle produit en dehors du sensationnalisme et de la stigmatisation du nom du peuple juif dans les générations à venir? Une recherche de ce genre, censée être publiée au nom de la liberté de la recherche, entame la validité morale qui pèse sur l'interdiction de la négation de l'holocauste. Ceux qui soutiennent une liberté complète de la recherche doivent accepter la négation de l'holocauste du fait qu'elle fait l'objet de travaux de recherche dans lesquels des universitaires remttent en question l'existence même de l'holocauste ou son étendue."
Cependant Breinman est opposé à toute sanction contre Toaff. "J'attendrais de lui qu'il montre un sens de la responsabilité personnelle. Il y a assez d'antisémitisme dans le monde." Dans ce contexte, Zimmerman fait une suggestion intéressante. Tout Juif qui se sent personnellement humilié et insulté par l'étude de Toaff et pense qu'il est possible de prouver que la méthodologie qu'il a utilisée pour parvenir à ses conclusions était incorrecte a la possibilité d'entamer une procédure judiciaire à son encontre. Il esiste un précédent d'une telle action : "Les Protocoles des sages de Sion," avaient été présentés à un tribunal suisse dans les années 20 en vue de déterminer si c'était un faux. Toutefois, à la lumière de sa propre expérience du système judiciaire ici, Zimmerman pense que les tribunaux israéliens n'aiment pas être impliqués dans des disputes entre historiens.
Dans ce débat, tout le monde admet que Toaff s'est mis lui-même dans la zone de turbulences. Pour un de ces collègues, "ce drame personnel va changer sa vie. D'un autre côté, combien de fois des historiens ont-ils fait la une des journaux en Israël et dans le monde?"
Original : http://www.haaretz.com/hasen/spages/827036.html
URL de cet article : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=2110&lg=fr
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