jean-daniel fabre — ne touchez pas à Fabre (IV)
Ne touchez pas à Fabre (IV)
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J'avais dû fuir la France
Et partir de Bordeaux
Pour avoir fait l'amour avec la fille de l'Ambassadeur de l'Allemagne de l'Est (c'était à l'époque un pays neutre)
Les vieux flics bismarkiens qui n'avaient pas été admis au siège de Paris
N'avaient pas non plus admis la chose
Ces vieux salauds me rattrapèrent près de Château-trompette
On a compris vous êtes communiste
Nous avons découvert votre correspondance à Louvain
Les salauds ils me parlaient de la correspondance
de la Kaiserin et de la tsarine sur mon propre compte
Des échos j'en avais eus dans une ville d'eau passablement délabrée
Là des ombres dégénérées circulaient, des groupes
se décomposaient avec la plus grande facilité
qu'importe !
Cela me permit de connaître le plus formidable
Réseau d'évasion
Et Dieu sait si l'Europe en est remplie
« De qui se moque-t-on et qui veut-on tromper leur dis-je
Je connais vos rêves
Et cette tête d'empereur que vous avez laissé flotter ! »
Ils blêmirent
Mais le maire de Bordeaux trouva cette histoire
Sombre et mauvaise
Elle l'atteignait dans tout ce qui le touchait le plus
Vendre son vin aux Anglais toute la guerre de Cent Ans durant
Je dus quitter l'Europe
Cette terre où tout se termine par des brouilles, des querelles et des suicides retentissants
*
* *
Un jour en Afrique
J'ai voulu construire un pont métallique
Plus magnifique que la machine fantastique de Leczin en Tchécoslovaquie
Je fis même venir un ingénieur allemand (nul ne peut mieux faire qu'eux)
Mais qui peut détourner les fleuves et entamer les forêts africaines ?
Rien à faire
J'avais montré aux noirs que le pont n'était pas droit
Je leur avais montré mon fil à plomb
C'est votre fil à plomb qui n'est pas droit
m'ont-ils répondu
Avec le plus grand aplomb
Et ils se marraient
Le lendemain le cours de la rivière était dévié
Ma femme était partie
La faute de tout cela en revient au Père André
Qui chaque nuit apparaissait
Et Kyria devenait de plus en plus effrayée
Elle refusait toute consolation
Satané Père André
Qui souriait d'une manière bienveillante et faisait saillir
Ses muscles temporaux
Il ignorait tout de cela
Je le revis calciné dans son oratoire
J'étais moi-même dans la merde la plus complète
Toutes les pires maladies de l'Inde me guettaient
serait-ce le choléra ?
J'allais voir l'ambassadrice d'Angleterre
Elle avait toutes les peines du monde à se maintenir propre
Dans son pays de misère
« Buvez du thé avec du bacon »
Comme les demoiselles missionnaires
Salauds d'Anglais !
*
* *
Il ne me restait plus qu'à rentrer en France
Tout le stupre de la sérénissime République de Venise
Cette ville d'ambassadeurs et d'anges querelleurs
Qui m'a laissé ma blessure ouverte et profonde ne m'inspire pas
Ce mépris et cette haine que j'ai pour Bordeaux
Cette ville de toutes les capitulations
Il a fallu que j'y retourne
Revenu de toutes les fièvres, de toutes les femmes et de toutes les trahisons
Je passais des journées d'attente à lire une vie de Jésus-Christ
Sans cesse recherché par un Jésuite italien qui voulait à tout prix
me soustraire les plans de la marine de guerre et de son port à Toulon
Jusqu'au jour où je fus reçu par le préfet maritime
Je tiens à vous mettre en garde me dit-il
Toutes les femmes de France exigent votre expulsion
Avec autant de vigueur la mort du maréchal Pétain
Je pus quand même prendre mes inscriptions à la faculté de pathologie
Pour moi qui étais las de toutes les tétanies, des philies et des phobies
Je pourrais goûter enfin à cette science humaine
qu'on appelle le crime
*
* *
On ne savait pas quoi en foutre
De la santé, à Sarcelles à Nanterre enfin à Rungis
Chaque année on la déplaçait
Tout de suite j'ai compris
C'était le bien commun qui nous cerne
par crainte d'être berné
Mais Dieu est bon
Profitons-en !
Je l'ai appris par la connaissance du professeur Barth
Un aliéniste de la belle époque
Il n'était pas un mauvais bougre
Mais pétri d'anthropologie suisse allemande
Un jour
il s'en alla consulter le docteur de la cambière neuro-calcigraphe
un incapable notaire
Celui-ci épouvanté lui répondit au travers de la porte
que ce n'était pas sur la verge mais dans la tête qu'il avait des points noirs
J'appris leur mort commune dans un bistrot du boulevard de l'Hospital
Où les agents d'amphithéâtre discutaient de la meilleure manière de disséquer les cadavres
Je compris alors combien le peuple français était logicien jusqu'à la mort
*
* *
J'étais juché sur l'escalier métallique de la faculté de Pathologie
Lorsque je pressentis quelque chose d'affreux
C'était vrai
Un coup de téléphone du gouverneur du Blesois m'avertit — la mort de Dozrgloz
Le suicide quand ça vient, ça vient vite
et Dzorgloz fait toutes les choses
Dans ces moments-là, il n'y a plus ni de qui ni de quoi ni de comment qui se posent
Il ne reste plus qu'une face éclatée à reconnaître
Et Dieu
Seul qui sait ce qui rend un homme vulnérable
Dzorg gisait dans la forêt de Sologne
Le pays de mauvais sort où nul ne sait d'où viennent les coups
Je vis son corps abandonné rempli d'éprouvettes
Nuit atroce
où Hitler et sa bande de Jeunes crapules bombardaient Londres sans pitié
Son corps croissait et multipliait la touffeur de la forêt
Comme à la veille d'une offensive vietcong
Mais en Afrique j'ai perdu la notion du mort et du vif
Je reconnus sa maladie
C'était le vomito négro
la maladie qui terrasse les papes actuels
quand surgissent des scènes de mœurs
Qui se passent à Rome
Et dans le monde entier —
Je retenais mon souffle
et chaque mot et chaque phrase
qui agitaient de terreur cette âme et ce corps
Tout autour prenait l'odeur des champignons et des plantes vénéneuses.
Écoute-moi Morde
Je sais que je suis mourant
Puisque ce que je vais dire ne convaincra plus personne
Pas même la femme que j'aime
« La littérature est la Science des ratés » —
Ici retenez votre souffle vous qui n'avez pas connu la fin de la guerre
Les confidences sont le miel de l'inspiration
Je reviens d'Afrique
J'y ai vu l'Assemblée des mauvais hommes et des dieux sous l'égide du Pape
l'horreur du mal m'a rendu fou
Dans quel état sommes-nous ? Morde en quel état ?
J'aime la nuit Dzorg et la nuit m'inspire
Mes yeux prennent des lueurs et la haine jaillit sans bavure
Durant les années sombres
Je suis parti
À Stockholm je me suis entretenu de la conduite de la guerre avec les chauffeurs de la locomotive qui venait du nord
Ils m'ont conduit à la grande maison de plaisir et de repos
Tenue par quatre-vingts bagnards et quatre-vingts filles de Joie
Là j'ai appris à connaître tous les feuillages qui écartent les serpents les plus dangereux
Et les fleurs odorantes qui chassent les maladies
Connaissant tout cela j'aurais pu fonder un empire calme et religieux à Toulouse
Parce qu'il y a là une fille que j'aime bien
*
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.../...
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