jean-daniel fabre — ne touchez pas à Fabre (V)
Ne touchez pas à Fabre (V)
*
* *
Mais les poulets-témoins sont venus
ils ont clamé : les forces spirituelles doivent dominer le monde
Les femmes se tordaient de douleur
Les hommes étaient à fleur de peau
Devenu subitement fou, un officier prussien passait dans les
Couloirs en criant « Franc-tireur, Franc-tireur ! »
Et un officier français me demanda si la France n'avait pas trahi —
Sur ce point j'ai pu le rassurer
Il y avait encore quelques blancs venu toucher leurs allocations-maladies
Une femme vieillie, accroupie au bord du Lion de Belfort
buvant une tasse de café dans un bol sale chantait une mélopée
Je vis alors autour du bordel défoncé un petit gnome
Qui courait en marmonnant :
Grou, grou...
Et je suis parti
Depuis ma traversée de la Sologne je ne puis plus
entendre ne serait-ce qu'un cri de joie sans frémir
Il me semble entendre l'humanité blessée dans son amour
*
* *
Maintenant les poulets-démons m'ont rejoint
Je vais être traduit devant le dix-septième congrès panslave
S'il me relâche je retournerai sur la terre d'Arnim
Là où les hommes peuvent aimer les femmes et leurs enfants et vivre sous le soleil sans frémir
Afin de ne pas oublier le temps qui passe
FIN
un coup de téléphone
de staline
C'était dans une salle de tenue sombre
retenue par vingt-quatre colonels félons
J'attendais un coup de téléphone de Staline
qui pouvait me couper l'inspiration
Kyria me dit « Morde il faut monter »
Staline était écrasé par un énorme dossier qui visiblement
l'emmerdait
« La mensuration des crânes des races humaines en voie de disparition »
Pourquoi avait-il fait appel à moi et non point à la fille d'André Malraux ?
Il était abattu comme s'il venait d'apprendre
Que sa fille voulait épouser un commerçant
De sa voix fluette de séminariste il me dit, Fabre les élections ça vous intéresse !
Toute présence fiscale constitue une maculation, lui répondis-je !
À des exilés tchèques
je confiais mon angoisse
Staline est un homme de Dieu, m'ont-ils dit
Il a rétabli la famille et la religion pour ses nids de mitrailleuse
Et ne vous reste d'autre issue que l'alcool, la drogue et les femmes
Non, leur dis-je
L'Afrique son œil bleu c'est le lac Tanganika
Si votre frère part pour un long voyage
Prenez un masque et dansez toute la nuit
vous dissiperez votre chagrin
Il téléphonait toujours
oui
oui
oui
d'accord
c'est dans la vie qu'il faut trouver la manière de faire comme si les choses étaient ainsi
et c'est ainsi qu'il faut faire avec Staline, le Dieu qui trompe
et l'inconscient trompeur car
Staline comme Bonaparte s'en tirera par la littérature
Mais peut-on questionner Staline
comme Dieu
la Bêtise
ou même le suffrage universel ?
Quel droit avez-vous à la parole ?
me dirent les docteurs
Monsieur
vous n'avez rien
rien
absolument rien
et Kyria me dit
Ne reviens pas là-dessus
c'est irréparable
La nuit approche
Hitler revient avec ses bombardiers
autour de moi la mitraille fait
zim
zim
zim
Alors Staline me dit de sa voix suave :
Interroge ces jeunes femmes qui me donnent leurs lèvres sans frémir
Ordure de Dieu
et saloperie de moi-même !
Que celui qui me parle
ne cherche point à me convertir
il finira comme naguère ce général S.S.
dans un château d'Île-de-France
où je mis le feu
Vous êtes dans le château
me dit doucement Kyria
c'est vrai je suis en Île-de-France
au temps de la douceur de vivre
empoisonné à l'âge de trente-six ans.
dernier mot
Et Kerenski me dit
Fabre ce n'est pas drôle d'être perdant
Je le vis dans sa propre face
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